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Critique de oblo


C'est d'abord une succession de scènes rapides qui évoquent son enfance. La terre avalée comme substitut de nourriture, les contes fascinants narrés par sa grand-mère, les tantes qui se pressent autour de la radio pour écouter leur feuilleton. Cuba est déjà une île où règne la misère mais celle-ci n'est qu'économique. Lorsque Fulgencio Batista est chassé du pouvoir par la révolution menée par Fidel Castro, Reinaldo Arenas est d'abord l'un de ces jeunes hommes qui prennent le maquis, sans toutefois combattre.

Cuba échange une dictature militaire contre une dictature militaire et idéologique. Les premières années du pouvoir castriste laissent encore quelques libertés aux Cubains. Bientôt, ces libertés disparaissent. En tant qu'écrivain homosexuel, Reinaldo Arenas va subir doublement la privation de ces libertés. Ecrivain, c'est-à-dire intellectuel : Arenas est peu à peu marginalisé au sein de l'union des écrivains cubains. Ceux qui continuent à être publiés sont ceux qui écrivent la gloire du régime : ce faisant, ils perdent, selon Arenas, la réputation d'écrivain. Arenas, comme d'autres, refusant de se faire le thuriféraire du régime, perd l'occasion d'être publié et reconnu. Néanmoins, parmi les écrivains non officiels, certains se font, comme Delfin Prats, les délateurs avisés auprès du régime. Arenas, lui, trouve le moyen d'être publié à l'étranger, principalement en France. Il doit aussi se résoudre à perdre quelques-uns de ses manuscrits, à recommencer certains (comme Encore une fois la mer) plusieurs fois. La liberté politique que lui apporte l'exil aux Etats-Unis le privera, d'une certaine manière, de la liberté de publier : perdant son auréole d'écrivain isolé et persécuté sur son île, il gagne surtout le privilège d'être privé des bénéfices des ventes de ses livres. Arenas profite aussi de son autobiographie pour faire un sort à ces écrivains étrangers (principalement sud-américains : Garcia Marquez en est l'exemple le plus tristement remarquable) qui glorifiaient Castro sans voir, de manière volontaire ou non, la réalité du régime, sous couvert d'accointance idéologique.

Homosexuel, Arenas l'est et ne s'en cache pas. La sexualité tient une place à part, essentielle dans ce livre. Instrument d'une connaissance intime de soi-même, la sexualité est aussi l'expression la plus éclatante, la plus jouissive de la liberté. Partant, elle est condamnée par le régime. L'homosexualité a aussi le tort de remettre en cause le sacro-saint machisme de cette île latino-américaine. Arenas est persécuté comme homosexuel. Des camps leur sont réservés, ainsi que les pires départements dans les prisons d'Etat. le livre, toutefois, montre l'étendue des possibilités sexuelles qu'a connues Arenas. Il montre l'imagination dont font preuve les hommes pour satisfaire leurs désirs les plus profonds, il montre cette formidable simplicité avec laquelle des hommes, entre eux, d'un regard ou d'une simple parole, s'accordaient pour aller, l'espace de quelques minutes, se donner l'un à l'autre. le sexe, ode à la vie, est une forme de révolte à la dictature castriste. On constate aussi une certaine impuissance du régime à mettre fin aux pratiques homosexuelles sur l'île. En réalité, l'homosexualité est sue, vécue, assumée même (les portraits de folles que fait Arenas en sont les preuves) par nombre de Cubains.

Avant la nuit est une autobiographie d'une puissance rare. Les origines de cette puissance, on pourrait les voir avec raison dans la part fantastique du sexe et des rapports sexuels dans le récit, dans l'évocation lugubre de la prison du fort du Morro, la chaleur épouvantable qu'il y fait, les insectes qui grignotent la chair des prisonniers, dans les interrogatoires dans les locaux de la Sûreté de l'Etat, dans la déception de trouver, aux Etats-Unis, un pays sans âme gouverné par l'argent. Il y a ces mots très simples, ces scènes qui se succèdent, ces descriptions d'amants de passages, cette capacité permanente de trouver le plaisir pour repousser toute la pesanteur de la situation politique et aussi ces hommages à des écrivains oubliés.

Car Avant la nuit est aussi un témoignage de cette dictature, vécue de l'intérieur, qui traque la vie sous toutes ses formes (le sexe, bien-sûr, mais aussi l'humour) et met à mal les solidarités familiales (la tante de Reinaldo Arenas serait la perversion incarnée), professionnelles ou intellectuelles (Arenas voit ses amis disparaître de sa vie pour ne pas être compromis, hormis quelques rares exemples comme Juan Abreu). Cuba, comme île, est une prison pour ses habitants dont même les plages, finalement, sont interdites d'accès (les moyens d'évasion (le mot est fort et renvoie au système pénitentiaire) passent souvent par la mer : la base américaine de Guantanamo est une cible privilégiée des candidats à l'exil, bien que difficilement atteignable). le suicide apparaît, pour beaucoup, comme une issue davantage appréciable que la vie empêchée. C'est le choix que fit Arenas, déjà condamné par le sida, y trouvant, plus qu'un hypothétique salut, le moyen de résoudre la véritable quête de sa vie, expérimenté seulement durant son enfance : l'exercice de la liberté.
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