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« Avant la nuit » est l'autobiographie de Reinaldo Arenas, écrivain né à Cuba en 1943 et qui, atteint du sida, se donnera la mort en 1990 à New York.
Reinaldo Arenas est né à la campagne, près de Holguin dans la province d'Oriente, dans une famille pauvre, dans laquelle les femmes sont, tôt ou tard, abandonnées ou trahies par les hommes. Né sous la dictature de Batista, il est adolescent quand Castro mène sa guérilla depuis la Sierra Maestra avant de prendre le pouvoir. A ce moment, la Révolution suscite espoir et enthousiasme. Arenas lui aussi s'enflamme pour ce vent nouveau, grâce auquel il pourra faire des études, obtenir un premier emploi puis un poste à la Bibliothèque nationale et même remporter un prix littéraire. Las ! Une dictature chasse rapidement l'autre, virage à plus de 180 degrés de la droite vers la gauche. Arenas déchante tout aussi rapidement et s'oppose au communisme. Ecrivain, intellectuel, homosexuel, le voilà considéré comme un dangereux contre-révolutionnaire. Il sera pendant des années la souris essayant d'esquiver le chat castriste, tentant de quitter le pays, réussissant à faire publier ses romans à l'étranger en les faisant sortir clandestinement de l'île, réécrivant à plusieurs reprises certains manuscrits confisqués ou détruits par la Sûreté de l'Etat. Prison, torture, trahisons, délations, paranoïa, il connaîtra toute la panoplie des horreurs d'une dictature absurde, avant de parvenir à gagner les Etats-Unis sur un coup de chance.
Ce récit, écrit sous tension, dans l'urgence, est intense, impudique, édifiant. Si la litanie des (més)aventures sexuelles, crûment décrites, est parfois agaçante et sans intérêt, elle est cependant révélatrice de la recherche d'une liberté totale, de la volonté absolue de s'évader à tout prix de cette île-prison. Quand on pense que le régime castriste interdisait aux Cubains d'aller à la plage par crainte qu'ils s'enfuient à la nage... On est bien loin de l'image pseudo-romantique des barbus de la Révolution. Il est frappant aussi de lire que, si les médias étrangers et une grande partie des Cubains exilés ont mené grand tapage lorsque Reinaldo Arenas se trouvait coincé à Cuba, ils n'ont plus fait grand cas, ni de lui, ni de sa cause, une fois qu'il réussit à s'enfuir de cet enfer.

« Avant la nuit », avant la mort, ce livre raconte, de l'intérieur et avec les tripes, une vie de résistance au harcèlement et aux exactions d'un régime de terreur. En dépit de tout cela, la lettre d'adieu de Reinaldo Arenas se termine sur une note d'espoir poignante : « Cuba sera libre. Moi je le suis déjà ».
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Un forcené de la vie dans un contexte mortifère. La maladie de l'auteur, qui s'est suicidé en 1990 avant que le SIDA ne l'emporte, n'est évoquée que dans l'avant-propos et la lettre accompagnant son geste reproduite en guise d'épilogue. Tout le reste parle de vie.
Arenas est un gajiro – un paysan cubain, né sous l'ère Batista, rejeton sans père d'une famille nombreuse. À la campagne, il découvre la poésie et la Révolution. Et le sexe, surtout le sexe : le corps des hommes sera toute sa vie le cordon ombilical qui le relie au monde, à la littérature (que l'on me pardonne ce pléonasme).
Il s'engage dans les rangs castristes, doit au régime ses études, son emploi au sein de la bibliothèque José-Marti, son premier prix littéraire… Les premières années sont des jours heureux, emplis de livres et d'aventures sexuelles par dizaines. Et il découvre La Havane, ville-miroir de sa frénésie de vivre. La Havane comme un joyeux asile de dingues, le monde de la nuit et du spectacle, le monde de la culture également. La Havane lui ouvre la porte des livres, littéralement puisqu'il y travaille, métaphoriquement puisqu'elle lui permet un parfait accomplissement. La Havane et les corps seront la vie d'Arenas, dans la jouissance et la douleur, dans l'oubli, le regret, la perte, l'amour fou.

Et puis le pouvoir devient dingue. On n'aide plus le peuple, on le sangle. En prison, les « déviants », au feu leurs oeuvres. Dans les années soixante et soixante-dix, l'Occident voit trop facilement en Cuba un bastion de résistance à l'impérialisme… oubliant ce qu'est réellement une dictature communiste. Camps de travail-mouroirs, autocritiques publiques, délation à tous les coins de rues. La Havane s'effondre derrière ses façades, les lézardes s'accumulent sur les murs et dans les âmes. Plus la ville s'enlaidit, plus les affreux travers ressortent, les délations, les mesquineries. On est épié partout. Même l'accès aux plages est interdit et d'aucuns préfèrent les requins aux barbelés de l'île-prison. Sous les yeux de l'auteur, l'utopie castriste vire au cauchemar absurde. Arenas passera deux ans dans le bouge qu'est le Château du Morro, torturé, enfermé avec les folles perdues, ses oeuvres censurées ne devront leur salut qu'à l'amitié des amis expatriés qui sortent les manuscrits au péril de leur vie.
Il lui faudra attendre 1980 et l'exode honteux du port de Mariel pour pouvoir quitter l'île qu'il aime pourtant autant que sa vie. Débarqué à Miami, il lui semble vivre parmi un peuple zombie, exilés sans âmes, embourbés dans les circonvolutions de leur nombril, puis fuit à New York, à Paris, sans jamais retrouver ce qui lui a été enlever. Il se suicide quelques années plus tard, fantôme déjà.

Je n'aime pas les (auto)biographies, je ne lis pas l'espagnol et je connais mal l'histoire de Cuba… Aucune importance. En ce qui me concerne, ce fut un grand moment de lecture, un genre de montagne russe où les anecdotes personnelles, souvent très drôles, trébuchent sur la grande Histoire, où le sexe est l'art et l'art est le sexe, les amis, des amants et vice versa. Où l'on vit des expédients les plus inattendus – une bohème pas forcément choisie mais parfaitement assumée. Où les libérateurs sont aussi les bourreaux et les bourreaux restent des bourreaux. Où l'on fuit toujours avec soi-même, évidemment.
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En ces temps de détente relative dans les rapports entre les Etats-Unis et Cuba, voici une autobiographie qui devrait retenir toute l'attention du lecteur avisé.

Reinaldo Arenas fut un opposant au régime de Cuba; il mit fin à ses jours à l'âge de quarante-sept ans, exilé à New-York, épuisé par le sida, en proie à une profonde dépression, à la solitude, et incapable de poursuivre plus avant sa mission d'écrivain engagé. La reproduction de la lettre d'adieu, en fin de volume, et particulièrement émouvante à ce titre. Né dans un milieu paysans des plus pauvre, mais libre de part sa proximité avec la nature, Arenas vécu une enfance qu'on ne peut qualifier de malheureuse, dans un milieu matriarcale, dont les femmes, à commencer par sa mère, furent abandonnées par des maris peu concernés par leur devoir de père. Enfant de la nature, très tôt son esprit et sa personnalité furent influencés par son environnement, par le mysticisme et la forte personnalité de sa grand-mère, par le fantastique émanant des forêts qui l'entouraient, par la sexualité omniprésente et la violence perpétuelle du monde paysan. Puis vint la révolution, une guerre remportée sans véritable combat, Batista ayant pris la fuite. Ce furent le temps des purges, des exécutions sommaires, des procès à grande audience prenant la forme d'humiliations publiques, des camps de concentration pour les personnes ne rentrant pas dans le moule puritain et machiste du castrisme, du "paramétrage" ou marginalisation des artistes dissidents ou originaux, des travaux forcés dans les plantations agricoles, ainsi que des queues interminables pour les actes les plus bénins de la vie courante. Il fallait se défier de ses amis, de sa famille, ils pouvaient être des agents ou des informateurs de la sûreté de l'état. Arenas subit comme les jeunes cubains de sa génération l'endoctrinement en règle selon l'orthodoxie Marxiste-Léniniste auquel était soumis les étudiants, afin de devenir l'avant garde de la révolution cubaine. Toute manifestation de tendances homosexuelles était durement réprimée mais de telles pratiques avaient bien cours malgré cela. Puis vinrent les premiers essais de poésie, l'emploi à la Bibliothèque nationale, décisif pour sa formation d'écrivain, la tutelle bienveillante de Virgilio Piñera, l'amitié de Lezama Lima, mais aussi l'opposition d' Alejo Carpentier, homme lige du régime. Enfin, il y eu les infructueuses tentatives de fuite, la vie de fugitif, la détention dans les geôles du castrisme, dernier cercle de l'enfer; la libération toute relative, ainsi que les innombrables essais pour obtenir l'asile, enfin la fuite inespérée et providentielle, la liberté décevante de Miami, de New York.

Hormis la description de la vie sous la dictature, des plus intéressante, le sujet, central, omniprésent, inhérent à la personnalité de l'auteur, est celui de l'homosexualité : Arenas confie avec délectation ses innombrables aventures - et mésaventures sexuelles, les lieux insolites, théâtres de ses ébats, l'appétit impérieux et insatiable qu'on assouvi malgré les risques de représailles. le livre offre aussi un vaste panorama du monde des arts et de la vie interlope cubaine durant les vingt premières années de la dictature castriste. Avant la nuit fut une lecture passionnante, poignante et qu'on ne peut oublier. Un témoignage fort et important d'une lutte de toute une vie, celle de la liberté d'être soi-même et de se tenir debout sans compromission face à l'intolérable tyrannie.
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Quel roman que celui-là ! Il est d'ailleurs difficile d'en parler tellement il est riche en anecdotes, en personnages et personnalités, en sentiments et en émotions. Reinaldo Arenas commence ici par la fin : l'annonce de sa maladie, puis il nous fait plonger dans sa vie, depuis sa plus tendre enfance, jusqu'à son exil à Miami puis New York après l'épisode « Mariel » en 1980. Et du début à la fin, il est difficile de lâcher la lecture de cet ouvrage et de cet auteur qui a eu une vie hors du commun et qui vouait un amour absolu pour la liberté et l'écriture. Selon lui d'ailleurs, l'une n'allait pas sans l'autre. Reinaldo Arenas, qui a été persécuté par le régime castriste (pour ses ouvrages et son homosexualité), qui a été emprisonné à l'infâme prison de Morro (qui est fermée depuis) et qui a dû se résoudre à l'exil, n'a jamais cessé d'écrire, même lorsqu'il devait le faire « avant la nuit » dans les parcs de la Havane alors qu'il était recherché par la police. Et que dire de la lettre-testament qu'il livre à la fin de son autobiographie et qu'il conclut par ces mots : « Cuba sera libérée. Je le suis déjà » ! Pour toutes ces raisons, « Avant la nuit » est un roman fort, poignant et magnifique.
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On vous a sans doute déjà demandé quel livre vous a laissé(e) hagard(e), ému(e) au point de ne plus savoir quoi faire. Jusqu'ici j'avais pour seule réponse la trilogie Auschwitz et après de Charlotte Delbo – que je vous recommande chaudement. Il faudra désormais faire un peu de place à Reinaldo Arenas et son Avant la nuit, autobiographie vertigineuse que j'ai reposée la gorge nouée et les yeux gonflés.

Ce qui frappe d'emblée c'est la sincérité de ces 400 pages. Reinaldo Arenas s'y lie moralement au lecteur et applique, sans en avoir conscience, le pacte autobiographique défini en 1975 par Philippe Lejeune. C'est simple, il raconte tout, absolument tout ou plutôt il n'omet rien : ses penchants zoophiles enfant, sa 1ère relation sexuelle à 8 ans avec son cousin, ses multiples aventures – 5000 selon lui ce qui lui vaudra souvent d'être taxé de mythomane – mais aussi les persécutions à cause de son homosexualité et de ses opinions politiques, l'endoctrinement communiste, la torture, les camps de concentration, la dictature de Batista, celle de Castro et les amitiés qu'elles ont brisées ou consolidées.

J'ai eu l'impression d'écouter un grand oncle me raconter son destin hors du commun avec son lot d'anecdotes parfois attendrissantes (sa relation à Lazaro à qui il a dédié le Portier ou à Jorge et Margarita qui l'ont tant aidé), parfois terrifiantes et dignes d'un épisode de 24 (la tentative de détournement d'un avion avec des grenades), un grand oncle avec qui je ne m'accorde pas sur tout (je peux presque m'entendre lui rétorquer : et pourquoi il n'ont jamais de prénoms les noirs dans tes histoires ?) mais toujours passionnantes car reflet d'une vie et avec elle, d'un autre temps, de ses dérives, qu'il ne faut pas oublier, de son héritage, qu'il faut préserver.

Les chapitres s'enchaînent de façon thématique et sont très courts – à l'exception de celui sur l'érotisme (axé majoritairement sur l'éphébophilie de son auteur) et la prison. Il faut lire – vraiment – ce qu'a été la dictature castriste (ubuesque jusqu'à restreindre l'accès à la mer pour éviter qu'on ne quitte le pays !) et ce qu'elle a impliqué pour toutes les personnes qui s'y sont opposées ou ne l'ont simplement pas pleinement embrassée. Les passages sur l'expérience concentrationnaire à l'UMAP (Unité Militaire d'Aide à la Production) puis ceux à la prison du Morro m'ont rappelé par leur fonctionnement, abject et intolérable, les écrits de Soljenitsyne ou Semprun. Comme ce dernier, Reinaldo Arenas fait état ici d'un témoignage qui ne peut être totalement partagé, compris, transmis : “les hommes dans leur immense majorité ne nous comprennent pas et d'ailleurs on ne saurait le leur demander ; ils vivent leurs propres terreurs ; le souhaiteraient-ils qu'ils ne pourraient pas réellement comprendre les nôtres ; encore moins les partager.”A l'inverse toutefois, il rend compte de ce que sont l'écriture et la vie quand elles résistent ensemble, de concert.

Avant la nuit est une oeuvre où transparaît entre chaque ligne la vie et les convictions (anti communiste, anti-capitaliste) de Reinaldo Arenas : sans demi mesure. Ce guajiro qui mangeait de la terre petit parce qu'il fallait bien manger quelque chose, qui travaillait 12h pour un peso, qui construisait des mezzanines en bois pour sa chambre en cachette parce que c'était à la mode mais interdit, qui dut réécrire nombre de ses manuscrits confisqués par la police, parfois à la lumière d'un briquet, caché dans un parc, qui ne cessa jamais de se battre pour sa liberté et celle de son pays et mit d'ailleurs cet attachement en pratique jusqu'à sa dernière heure puisqu'il choisit le suicide (je précise que nous l'apprenons dès les 1ères pages). Ou comme il l'écrit à propos d'Olga Andreu qui mit également fin à sa vie : "Sa mort fut peut-être un acte de vie ; il y a des moments où continuer de vivre c'est se rabaisser, se compromettre, mourir de répugnance."

•°•°•°• A lire tout particulièrement si :
- vous vous intéressez à la culture et l'histoire cubaines ;
- vous aimez les récits sincères, qui ne prennent pas de gants (même s'ils peuvent heurter votre sensibilité) ;
- vous adorez écouter votre grand-père ou grand-mère vous raconter sa vie ;

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C'est d'abord une succession de scènes rapides qui évoquent son enfance. La terre avalée comme substitut de nourriture, les contes fascinants narrés par sa grand-mère, les tantes qui se pressent autour de la radio pour écouter leur feuilleton. Cuba est déjà une île où règne la misère mais celle-ci n'est qu'économique. Lorsque Fulgencio Batista est chassé du pouvoir par la révolution menée par Fidel Castro, Reinaldo Arenas est d'abord l'un de ces jeunes hommes qui prennent le maquis, sans toutefois combattre.

Cuba échange une dictature militaire contre une dictature militaire et idéologique. Les premières années du pouvoir castriste laissent encore quelques libertés aux Cubains. Bientôt, ces libertés disparaissent. En tant qu'écrivain homosexuel, Reinaldo Arenas va subir doublement la privation de ces libertés. Ecrivain, c'est-à-dire intellectuel : Arenas est peu à peu marginalisé au sein de l'union des écrivains cubains. Ceux qui continuent à être publiés sont ceux qui écrivent la gloire du régime : ce faisant, ils perdent, selon Arenas, la réputation d'écrivain. Arenas, comme d'autres, refusant de se faire le thuriféraire du régime, perd l'occasion d'être publié et reconnu. Néanmoins, parmi les écrivains non officiels, certains se font, comme Delfin Prats, les délateurs avisés auprès du régime. Arenas, lui, trouve le moyen d'être publié à l'étranger, principalement en France. Il doit aussi se résoudre à perdre quelques-uns de ses manuscrits, à recommencer certains (comme Encore une fois la mer) plusieurs fois. La liberté politique que lui apporte l'exil aux Etats-Unis le privera, d'une certaine manière, de la liberté de publier : perdant son auréole d'écrivain isolé et persécuté sur son île, il gagne surtout le privilège d'être privé des bénéfices des ventes de ses livres. Arenas profite aussi de son autobiographie pour faire un sort à ces écrivains étrangers (principalement sud-américains : Garcia Marquez en est l'exemple le plus tristement remarquable) qui glorifiaient Castro sans voir, de manière volontaire ou non, la réalité du régime, sous couvert d'accointance idéologique.

Homosexuel, Arenas l'est et ne s'en cache pas. La sexualité tient une place à part, essentielle dans ce livre. Instrument d'une connaissance intime de soi-même, la sexualité est aussi l'expression la plus éclatante, la plus jouissive de la liberté. Partant, elle est condamnée par le régime. L'homosexualité a aussi le tort de remettre en cause le sacro-saint machisme de cette île latino-américaine. Arenas est persécuté comme homosexuel. Des camps leur sont réservés, ainsi que les pires départements dans les prisons d'Etat. le livre, toutefois, montre l'étendue des possibilités sexuelles qu'a connues Arenas. Il montre l'imagination dont font preuve les hommes pour satisfaire leurs désirs les plus profonds, il montre cette formidable simplicité avec laquelle des hommes, entre eux, d'un regard ou d'une simple parole, s'accordaient pour aller, l'espace de quelques minutes, se donner l'un à l'autre. le sexe, ode à la vie, est une forme de révolte à la dictature castriste. On constate aussi une certaine impuissance du régime à mettre fin aux pratiques homosexuelles sur l'île. En réalité, l'homosexualité est sue, vécue, assumée même (les portraits de folles que fait Arenas en sont les preuves) par nombre de Cubains.

Avant la nuit est une autobiographie d'une puissance rare. Les origines de cette puissance, on pourrait les voir avec raison dans la part fantastique du sexe et des rapports sexuels dans le récit, dans l'évocation lugubre de la prison du fort du Morro, la chaleur épouvantable qu'il y fait, les insectes qui grignotent la chair des prisonniers, dans les interrogatoires dans les locaux de la Sûreté de l'Etat, dans la déception de trouver, aux Etats-Unis, un pays sans âme gouverné par l'argent. Il y a ces mots très simples, ces scènes qui se succèdent, ces descriptions d'amants de passages, cette capacité permanente de trouver le plaisir pour repousser toute la pesanteur de la situation politique et aussi ces hommages à des écrivains oubliés.

Car Avant la nuit est aussi un témoignage de cette dictature, vécue de l'intérieur, qui traque la vie sous toutes ses formes (le sexe, bien-sûr, mais aussi l'humour) et met à mal les solidarités familiales (la tante de Reinaldo Arenas serait la perversion incarnée), professionnelles ou intellectuelles (Arenas voit ses amis disparaître de sa vie pour ne pas être compromis, hormis quelques rares exemples comme Juan Abreu). Cuba, comme île, est une prison pour ses habitants dont même les plages, finalement, sont interdites d'accès (les moyens d'évasion (le mot est fort et renvoie au système pénitentiaire) passent souvent par la mer : la base américaine de Guantanamo est une cible privilégiée des candidats à l'exil, bien que difficilement atteignable). le suicide apparaît, pour beaucoup, comme une issue davantage appréciable que la vie empêchée. C'est le choix que fit Arenas, déjà condamné par le sida, y trouvant, plus qu'un hypothétique salut, le moyen de résoudre la véritable quête de sa vie, expérimenté seulement durant son enfance : l'exercice de la liberté.
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Bouleversant, touchant, effrayant. Voilà un témoignage qui donne à réfléchir et nous offre une vision des conditions de vie sous une dictature. Dans cette autobiographie, il y a tout ce qui compose une vie, et c'est bien normal. de l'amour et de la sexualité tout d'abord, à travers le témoignage personnel de Reinaldo Arenas. Son enfance, sa grand-mère, ses premiers émois, les nombreux autres plus tard. Il est question d'espoirs aussi, celui d'hommes et de femmes qui se révoltent contre une dictature. L'espoir de se battre pour ses convictions, de l'emporter et de pouvoir reconstruire un pays meilleur. La passion, ici à travers l'écriture, dans un univers en perpétuelle recherche de créations. L'amitié également. Puis viennent la peur, la désillusion, la trahison, la paranoïa propres à toute dictature. La fuite, l'exil... La vie, la mort en somme. Reinaldo Arenas nous raconte tout cela comme on se souvient, un moment de vie, qui en amène un autre, et puis un troisième etc...
A lire, rien que pour se rendre compte de comment un régime dictatorial peut tranquillement s'installer pendant que l'on vit de manière insouciante. A lire, pour comprendre, comment privé de liberté, on se bat, contre les autres, contre soi, pour profiter du moindre instant libre, quel que soit sa forme.
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En refermant la dernière page, on ne peut que constater la terrible souffrance, la terrible lutte à laquelle Reinaldo Arenas a été confrontée. Sa lettre d'adieu est un point final à cette lutte. Terrible…

La partie sur la prison est violente, elle me rappelle la description faite par Soljenitsyne dans « l'Archipel du Goulag ». Les méthodes des geôliers sont les mêmes car toutes les deux issues de l'union soviétique communiste. Cuba est clairement un état policier… La seule option qui existe est la survie. Un cubain mourant de faim sera emprisonné pour avoir tué une vache. Cette survie est plus vraie encore pour les prisonniers. Un prisonnier homosexuel (une folle) qui chante mieux qu'un autre sera tué pendant son sommeil par pure jalousie.

Le livre se lit bien, il est très riche en personnages et en anecdotes. La sexualité très débridée de l'auteur (et des cubains en général) nous permet d'accéder à des histoires délicieuses…
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Je viens de finir de lire l'autobiographie de Reinaldo Arenas. le livre m'a beaucoup plu et je le recommande. L'écrivain raconte sa vie de façon à la fois drôle et poétique pour finalement dénoncer l'horreur du régime castriste. L'écriture est simple et le livre se dévore. J'ai beaucoup aimé le fait d'avoir aussi le point de vue de l'auteur sur les écrivains de l'époque qu'il a côtoyer. Ce livre donne envie d'en ouvrir beaucoup d'autres!
Je vais me procurer rapidement le film!
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« J'avais déjà commencé mon autobiographie à Cuba, et je l'avait intitulée Avant la nuit, car je devais l'écrire avant la tombée de la nuit, puisque je vivais fugitif dans un bois. Maintenant, la nuit avançais de nouveau, de façon, de façon plus imminente. C'était la nuit de la mort. Maintenant il fallait vraiment que je finisse mon autobiographie avant la nuit. »


Mon voyage à Cuba ne m'emportera ni vers les plages, ni vers l'exotisme insouciant qui peut occuper le touriste en mal de soleil et de chaleur .Bien au contraire, il me catapultera au coeur de la dictature exercée par un homme depuis des années sur une population à bout de souffle.
Reinaldo Arenas, fait partie de ces écrivains cubains qui ont écrit la révolte, le rejet de ce régime, et qui en ont payé le prix fort.
J'ai choisi, un peu par hasard, cet ouvrage qui n'est pas un roman, mais une autobiographie, grâce à la rediffusion cet été du film que Julian Schnabel a réalisé à partir de ce livre.
Cette autobiographie a quelque chose d'original, dans le sens où elle n'a rien de linéaire, de chronologique. Elle commence par la fin de la vie de l'écrivain qui se sait malade et préfère la mort à la déchéance, et se termine par une lettre d'adieu qui n'est rien d'autre qu'un testament politique et une dernier réquisitoire contre celui contre lequel il se sera battu à sa manière toute sa vie.
« J'exhorte le peuple cubain de l'exil comme de l'ile à continuer à lutter pour la liberté. Môn message n'est pas un message de défaite, mais de lutte et d'espérance. Cuba sera libre. Moi je le suis déjà. »
Le reste, n'est rien d'autre que la Vie, avec un V majuscule ; une vie vécu à 100 à l'heure, une vie croquée par les deux bouts, une vie éprise de liberté et de beauté absolue, une vie qui finalement sera sa perte.
Cette biographie, est donc plutôt thématique que linéaire : 70 chapitres, pour la plupart courts, voire très courts. Seuls deux seront plus copieux :L'érotisme, et, La prison. Et cela n'est pas un hasard
70 chapitres, 70 tableaux….Une autobiographie atypique, que Reinaldo écrit par petites touches, comme on peint au petit pinceau. C'est court, c'est clair, c'est précis.
La thématique, plutôt que la chronologie, reflète la personnalité bouillonnante de cet écrivain. Il sera marqué très tôt par sa relation avec sa mère, et sa relation aux femmes : il ne connaît pas son père, et sera élevé par sa famille maternelle.

Ce qui frappe d'emblée, c'est que très tôt, il sera pris d'obsessions érotiques, et une attirance marquée et assumée pour les garçons, puis les hommes. Rajoutons à cela, une persécution systématiques des homosexuels, et nous comprendrons l'importance qu'il donnera à l'érotisme dans son oeuvre, en ne cachant rien dune sexualité débridée, décomplexée. Il l'écrira dans des termes explicites, souvent très crus, qui pourraient à premier abord passer pour de la vulgarité, mais qui venant d'un homme me gène moins que d'une femme, et qui exprime surtout la révolte contre l'oppression, le désir de liberté absolue. Cet homme a passé un certain temps en prison, ou dans des camps de travail, et cela explique aussi l'importance qu'il a donnée à ce thème dans son texte.

Reinaldo dresse tout au long de ces pages, qui se lisent avec beaucoup de facilité, un tableau très éloigné du cadre idyllique que certains viennent chercher à Cuba. Et c'est cela qui m'a fasciné, la dénonciation d'un régime exsangue, mais toujours debout, qui persécute, traque, affame, assoiffe. Un régime qui a fait de ses intellectuels, des criminels, qui a fait des homosexuels des animaux que l'on enferme dans les pires conditions. Il rend hommage à de nombreux écrivains cubains, notamment Guillermo Rosares (cf. Mon ange).

« Cette fois, pour tous les intellectuels cubains la nuit noire était venue. Impossible désormais d'envisager de quitter le pays, car dès 1970 Fidel avait proclamé que tous ceux qui le souhaitaient étaient déjà partis ; il faisait ainsi de l'ile une prison où tout le monde, d'après lui, était heureux de vivre. »
Mais, l'exil n'est pas mieux ressenti. Si l'auteur a pu, s'échapper, ce n'est pas pour autant, que la vie en a été meilleure pour lui. Miami, la ville la plus proche de Cuba, ne lui convenait pas. New-York sera pour lui synonyme de maladie et de mort.

« Certes, dix ans après, je m'aperçois que pour un expatrié il n'y a aucun endroit où l'on puisse vivre ; il n'existe aucun endroit, car celui où nous avons rêvé, où nous avons découvert un paysage , lu notre premier livre, eu notre première aventure amoureuse, demeure l'endroit rêvé ; en exil, on n'est plus qu'un fantôme, l'ombre de quelqu'un qui ne peut jamais atteindre sa propre réalité ; je n'existe pas depuis que je suis en exil ; depuis lors, j'ai commencé à fuir de moi- même. » propos écrits en 1990…..20 ans après ,où en est Cuba ?????

Cela restera une lecture marquante, grave, qui donne envie de secouer beaucoup de choses. Elle peut rebuter certains, voir les choquer. En ce qui me concerne, j'ai beaucoup apprécié ce livre. J'attendais de l'avoir lu pour visionner le film ; et lirai très certainement d'autres ouvrages de cet auteur.



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