Les bons jours, ça m’irrite, comme l’étiquette d’une robe qui gratterait. Les mauvais, je me sens comme un lynx pris au piège, prêt à se ronger une patte pour s’échapper.
Sa nièce possédait les compétences parentales d’un… Rose ne savait même pas comment terminer cette phrase. Dans la nature, n’importe quelle créature inapte à s’occuper de ses petits à ce point se serait éteinte depuis des siècles.
Il paraît que le bénévolat est bien plus gratifiant qu’un emploi rémunéré. Je ne pourrais pas me prononcer. J’ai terminé mes études il y a un an à peine et n’ai jamais occupé de poste salarié. En revanche, je sais ce que m’apporte le bénévolat, et ce n’est pas ce plaisir habituel qu’éprouvent les moralisateurs à aider les personnes défavorisées.
J’avais voulu dire que cette voie professionnelle ne m’intéressait pas. Je désirais sortir et accomplir des choses, pas raconter des histoires où d’autres agiraient. Mais au moins, il comprenait que j’avais besoin d’un métier. C’était un début.
Vingt minutes plus tard, je me glissai sur le cuir de la banquette arrière de la berline de luxe, légèrement nauséeuse. James voulait se porter candidat aux élections sénatoriales. J’aurais dû le voir venir. Peu après le début de notre relation, je lui avais demandé s’il comptait suivre les traces de son père en matière de politique. Il avait choisi d’en rire, sans vraiment répondre à ma question, et je n’avais pas osé insister. Séduite par James Morgan, je refusais d’entendre tout ce qui pouvait entraver le cours de notre histoire.
Elle se détendit et hocha la tête. Avec deux enfants de moins de quatre ans, elle attendait le troisième. Si elle avait trois mois de moins que moi, il n’en paraissait rien. En la croisant dans la rue, je lui aurais donné dix ans de plus. Elle possédait sans nul doute cette décennie supplémentaire d’expérience de la vie. Chassée de chez elle à l’âge de seize ans, mariée à dix-huit et divorcée à vingt et un. Une dizaine de postes figuraient sur son CV, souvent cumulés.
Son existence était à l’opposé de la mienne. Je vis avec ma mère dans une demeure dont la superficie excède celle de tout le refuge. Je suis titulaire d’une maîtrise obtenue à Yale. Je travaille en tant que bénévole, et je n’en ai même pas besoin. Cela me plaît-il ? Les bons jours, ça m’irrite, comme l’étiquette d’une robe qui gratterait. Les mauvais, je me sens comme un lynx pris au piège, prêt à se ronger une patte pour s’échapper. Puis je regarde quelqu’un comme Cathy, et une vague de culpabilité et de honte étouffe cette impatience.