— Oh ! mince, chuchota la vieille dame.
— Qu-quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
Elle se pencha en avant, les yeux brillants. Des larmes ? Mais pourquoi était-elle… ?
— Je suis désolée, dit-elle. Je voulais seulement… (Elle sourit tristement.) Je voulais seulement te parler. Tu as l’air si gentille.
J’aperçus Derek, qui était sorti de la queue et fonçait vers moi, jetant des regards noirs aux garçons qui pouffaient. La dame se leva et se pencha de nouveau vers moi.
— J’ai été ravie de te parler, ma belle.
Elle posa sa main sur la mienne… et elle me traversa. Je me levai d’un bond.
— Je suis désolée, répéta-t-elle.
Elle avait l’air si désemparée que j’avais envie de lui dire que ce n’était pas grave, que c’était ma faute. Mais avant que je puisse articuler quoi que ce soit, elle disparut, me laissant au milieu des rires et des murmures, «tarée», «schizo», et je restai là comme enracinée, jusqu’à ce que Derek me prenne le bras, avec une telle douceur que je le sentis à peine.
— Allez, viens, me dit-il.
— Ouais, je crois que la date de péremption de ta copine est passée ! s’exclama le gars qui riait.
Derek leva doucement la tête, avec son expression familière de mépris. J’attrapai son bras. Il cligna des yeux et acquiesça. Nous nous apprêtions à regagner la sortie quand l’autre jeune intervint.
— Tu dragues en hôpital psychiatrique ? (Il secoua la tête.) T’es vraiment prêt à tout, toi.
— Alors, où il est ? demanda Tori.
— Mmmh. Il a dû briser ses chaînes.
— Il veut dire que Simon est un grand garçon et qu’il est libre d’aller où il veut, ajoutai-je en me tournant vers Derek. Tu peux suivre sa piste ?
J’avais assez tramé et comploté au cours de la dernière semaine pour être sélectionnée pour Koh-Lanta.
J'avais l'impression que mon ancienne vie était un rêve, un rêve plutôt agréable, sans complication. A présent, on m'avait réveillée, j'avais compris qui j'étais et ce que j'étais, pour le meilleur et pour le pire. Je ne pouvais plus fermer les yeux et me laisser glisser de nouveau dans cette délicieuse illusion de normalité. Désormais, c'était ça ma normalité.
Je ressemblais à une Goth. Une Goth malade, qui plus est, blanche et aux yeux cernés. J’avais l’air d’une morte. Je ressemblais à une nécromancienne ...
Le grognement se changea en une étrange mélopée funèbre, comme la lamentation des âmes de défunts martyrs.
Elle avança et les étincelles tournoyèrent pour former une boule de lumière bleue entre ses mains. Elle les abaissa brutalement : je m’accroupis juste à temps, et la boule me passa au-dessus de l’épaule, vint heurter le mur et explosa en une pluie d’étincelles qui me brûlèrent la joue.
Pas de bougies qui crépitent et jettent des ombres sinistres sur les murs, pas de crânes moisis disposés en un cercle rituel, pas de coupes remplies de ce que le public supposerait être du vin, mais espérerait secrètement être du sang.
— Chloé ?
Je me retournai. Seule la lumière du séjour éclairait le couloir, ce qui laissait son visage dans l’ombre.
— Est-ce que Derek… a été sympa ? Je sais qu’il avait tendance à s’énerver contre toi avant qu’on parte de Buffalo, et j’étais inquiet. Mais ç’a l’air d’aller, maintenant…
— Oui, ça va.
Comme il ne répondait rien, j’ajoutai :
— En fait, on s’entend vraiment bien maintenant. C’est une bonne chose.
Je sentis son regard sur moi, sans parvenir à distinguer son expression.
— Bien, dit-il doucement. (Après une pause, il conclut avec plus d’enthousiasme :) C’est vraiment bien. On se voit demain, alors. On parlera.
Simon avait dessiné trois images. Dans le coin supérieur gauche, en guise d’adresse, se trouvait un fantôme. Au milieu, un grand croquis de Terminator, le personnage d’Arnold Schwarzenegger. Enfin, à la place de la signature, un éclair cerné de brouillard. À côté des dessins, quelqu’un avait griffonné en caractères de deux centimètres de haut « 10 H ».
Tori m’arracha le papier des mains et le retourna.
— Alors, où est le message ?
— Le voilà, répondis-je en lui montrant chaque image du doigt. Ça veut dire : « Chloé, Je reviendrai, Simon ».