Ma dernière découverte Exprim' pour laquelle je peux remercier Babelio et les éditions Sarbacane. Si je n'avais pas été entièrement convaincue par le précédent roman de Philippe Arnaud,
Jungle Park, j'étais bien décidée à lui offrir une seconde chance. Et je ne l'ai pas regretté.
Comment parler de ce roman ? J'ai été incapable de le lâcher : page après page, il m'a aimantée et secouée. Il m'a un peu rappelé le film Get out : la sympathie que cette famille blanche lui manifeste au début est rapidement troublée par des remarques choquantes relevant du racisme ordinaire avant que la situation n'empire de façon dramatique : de petites choses étranges deviennent de plus en plus énormes, incroyables, insensées. Mais si elles prennent une dimension futuriste dans Get out avec une technologie non existante de nos jours, le quotidien d'Anthéa reste très réaliste et, par conséquent, bien plus poignant. S'instaure peu à peu un esclavage qui ne dit pas son nom. Mais tout se passe progressivement, au fil des mois, des années. Une lente déchéance, des droits qui s'évanouissent, des rapports de force qui se mettent en place dans des non-dits et des regards.
Dans cette famille qui se déchire, qui se déteste, entre des adultes fourbes, faux et manipulateurs, l'ambiance devient pesante, puis malsaine, mauvaise. Leur méchanceté se tourne aussi envers leurs enfants, mais c'est surtout Anthéa qui en paie le prix. Il est loin, l'Eden promis, espéré. La folie couve et explose parfois, mais c'est surtout la mauvaise foi, la fausseté et les mensonges qui règnent en maîtres. Si les paroles et actions de Stéphane et Christine nous semblent, à nous comme à Anthéa, aberrantes, inhumaines, sournoises, il est impossible de discuter avec eux.
Au fil du récit, on s'interroge. Que veulent-ils réellement ? Jusqu'où vont-ils aller ? le mal étend ses tentacules tranquillement, avec subtilité, s'approchant caché derrière un sourire. L'angoisse monte et l'on craint le pire pour Anthéa. C'est une lecture qui prend aux tripes et qui pèse sur le coeur. Glaçant.
Anthéa semble longtemps pétrifiée, face à un quotidien de plus en plus tragique. Mais, de la même manière que l'auteur fait lentement évoluer la situation, il nous donne à ressentir les craintes, les doutes et les rêves d'Anthéa. Or, l'espoir que tout finisse par s'arranger, la peur que cela empire, la résignation, la méconnaissance d'un nouveau monde, la pression faite sur elle (elle est mineure, ils détiennent son passeport, elle leur doit tant…), la peur de décevoir sa famille… tout cela concourt à la maintenir dans l'inaction.
Le roman s'étale sur six ou sept ans : la petite Anthéa de neuf ans des premières pages aura bien grandi, trop vite, trop brutalement, quand arrivera la dernière ligne. La fillette rêveuse et créative se transforme en une femme lucide et résistance qui émeut du début à la fin.
Esclavagisme moderne, racisme, violences faites aux femmes et aux enfants… le soleil et la terre rouge du pays bamiléké, les occupations innocentes – contes sous le grand kolatier, petites sculptures dans la terre, corde à sauter et rires avec sa cousine –, les bonheurs du Cameroun natal s'effacent rapidement, coulés sous le gris des immeubles et du bitume. Un thriller bouleversant et une héroïne que je n'oublierai pas sitôt.
Lien :
https://oursebibliophile.wor..