Citations sur Zora, un conte cruel (10)
L'enfant rota.
Ce fut une éructation de pachyderme, la mère de tous les rots, une détonation plus abasourdissante que dix-mille coups de canon ! Il n'est pas un humain sur la Terre qui n'eût pas ce soir-là le fondement secoué par l'onde de choc. Des Pygmées d'Afrique aux Esquimaux des étendues arctiques en passant par les hommes à cheval des steppes d'Asie centrale et ces drôles de basanés qui louchent dans les montagnes d'Amérique du Sud, les hommes et les femmes de tous les continents, pendant trois longues secondes en ce soir fatidique du 11 novembre 1892, ressentirent le rot de l'enfant. La Lune vacilla dans son coin du ciel. Un des anneaux de Saturne dévia légèrement de son orbite, mais reprit aussitôt sa place initiale ; le grand ordonnateur céleste veillait au grain, tout de même.
Comprenez, la petiote se retenait de roter depuis une semaine.
En vérité, au fil de ses journées passées chez Tuomas, de ses gazouillis charmants la petite avait damasquiné le coeur du vieil alchimiste, y traçant un arc-en-ciel.
A l'Ours qui pète
Tripes et viscères
Seppo Petteri Lavanko, maître tripier
Tout se mange
Purée de cervelle d'écureuil et trognons de tomates
Coeurs de loup bouilli dans un rata de navets du pays
Foie de lynx dans son jus, servi sur un lit de laitue vieillie
Ris de glouton flambé à l'alcool de morue
Potée de rognons de belette aux champignons du voisinage
Tête d'ours au four (2 personnes)
Frai de crapaud avec haricots rouges dans une sauce jaune
Gras double à la Seppo
Tripes de renne dans un beurre de truie, servies sur chapeaux d'amanites tue-mouche
Dessert
Baba au jus de putois
Voyez des choses, Tero, regardez vivre les hommes. [...] Regardez leurs maisons. Regardez ce qu'il y a dans leurs assiettes. Regardez-les ouvrir leurs boutiques le matin et installer leurs marchandises. Regardez-les se battre sur les trottoirs pour trois pennis. Regardez-les boire et rire, chanter et discuter. Les couleurs et les mouvements du monde, des hommes et de la nature... Il faut vous en gaver jusqu'à plus faim.
- Bon, bon, ça va aller, on commence à piger. C'est pas Dieu possible comme les clients sont capricieux de nos jours... "Frappez-le juste ce qu'il faut, modérez vos transports, tapochez-le avec douceur..." Quelle monde de fiottes, quand même.
Il existe, aux confins de la verte Finlande, une forêt peuplée de créatures étranges et fort laides qu'on appelle les fredouilles. Les fredouilles ont deux jambes et deux bras, rattachés à un torse. C'est là tout ce qui les apparente aux humains.
Le bon Dr Pikkarinen était un poète. C'est lui qui fut chargé de dresser l'acte de décès. Après un examen sommaire, comme il n'arrivait pas à mettre le doigt sur aucune cause évidente, il écrivit sur le formulaire : Zora Marjanna Korteniemi : morte d'amour.
Il a fait un bien long voyage, ce grand bout de femme. Pour venir jusqu'à vous, elle est passée sous les fourches caudines, elle s'est fracassée sur les pires brisants de la vie. Et pourtant, la voilà, les os broyés, mais toujours vivante, tenace... Elle me fait penser à ces saumons qui se tuent parfois à remonter le cours des rivières où ils sont nés.
Pour Zora la contemplative, les taloches, les injures et les déshonneurs qu'on lui infligeait à l'auberge et la faim qui lui torsait l'estomac pendant ses longues heures d'errance dans les bois n'étaient pas trop cher payer ces moments de bonace occasionnels pendant lesquels la forêt des Fredouilles déployait pour elle toute seule ses beautés et ses merveilles. Elle regarda autour d'elle ; la forêt s'étendait à l'infini.
C'est seulement lorsque la petite se croyait à l'abri des regards que sa course dans les bois prenait les allures d'une danse, d'une valse féerique et ses trottinements, ses hésitations extatiques devant les fleurs, les champignons, les insectes composaient dans l'esprit simple de Moutarde le spectacle le plus merveilleux qui fût.