- Je te hais.
Cole s'est contenté d'un petit sourire narquois.
- La haine. Un sentiment extrême. Si voisin de l'amour.
Je bénéficiais d'un sursis de six mois avant que les Tunnels ne m'engloutissent. Mais j'avais besoin d'être ici. Besoin de renouer, brièvement, avec ma vie antérieure. Avec l'année que j'aurais dû avoir. De voir Jack une dernière fois, malgré la manière dont notre histoire s'était interrompue. De revoir ma famille.
C'était l'occasion pour moi de faire mes adieux. Cette occasion ne s'était pas présentée la fois précédente.
— Jack, sincèrement, tu ne devrais pas...
— Chut ! J'essaie de travailler, a-t-il grommelé.
Il a gardé le front baissé, mais ses lèvres ont esquissé un sourire. Un doux rire m'a échappé. Le premier en cent ans. Jack a braqué ses yeux sur moi et j'ai dû étouffer une exclamation.
— Pardon ? m'a-t-il demandé.
La bouche entrouverte, j'ai secoué la tête. Je n'avais pas pu rire. Je n'en avais plus la capacité, si ?
— J'ai cru t'entendre pouffer.
— Non, ai-je rétorqué. Non. Ce n'est pas drôle.
Il a haussé un sourcil.
— Tu es sûre ? Parce qu'il m'a bien semblé que tu me disais quelque chose et qu'ensuite j'ai répondu quelque chose qui t'a paru drôle. Et tu as gloussé. J'en suis presque certain.
J'ai respiré afin de m'apaiser.
— Non. C'est impossible.
— Impossible que j'aie dit quelque chose de drôle ?
Et là, j'ai ri de nouveau.
— Non. Impossible que j'aie ri.
Son sourire s'est épanoui, et j'ai ri encore plus, d'abord parce que manifestement ce n'était pas impossible, ensuite parce que je savais ce que ça signifiait. J'étais assez rétablie pour rire.
- Quoi ? Qu'est-ce que tu veux ?
- Toi, Nik.
Cole a respiré à pleins poumons.
- C'est toi que je veux. Que nous montions sur le trône ou non. Je te veux dans ma vie, et la seule solution est que tu deviennes comme moi. Nous avons partagé un coeur, Nik.
Il a pointé son doigt vers ma poitrine.
- Ton coeur est en moi maintenant.
- Pas mon coeur, ai-je rectifié. Certaines de mes émotions seulement.
- C'est pareil. Il m'appartient. Et donc je t'appartiens.
J’aimais le bruit blanc et la solitude que me procurait mon recoin.
Se souvenir, c'est facile. C'est oublier qui est dur.
Jack se courba et me demanda:
- Dis moi, mon amie. Peut-il y avoir plus entre nous?
Je regardai mes pieds:
- Entre nous, il peut tout y avoir.
Tu sous-estimes l’ampleur de la tâche. Convaincre une fille de me suivre n’est pas facile. Les recettes ordinaires marchent mal. Salut, je t’offre un café ? Et ensuite je pomperai ton énergie pendant une éternité ?
Je me suis efforcé de détailler l'histoire dans ma tête. Eurydice était allée dans l'Enfernité, comme moi. De même, elle n'avait pas vieilli. Peut-être que son Enfernaute voulait aussi qu'elle trône à la Cour, mais elle avait choisi les Tunnels. Ceux-ci l'avaient absorbée. Quand Marry déclarait qu'Orphée étai fort, elle voulait peut-être dire qu'il avait eu la force de laisser Eurydice aux Tunnels plutôt que de la voir devenir elle-même une Enfernaute.
– Pourquoi t'obstiner à revenir si ce n'est pas pour rester ?
Il a serré ma main avec rudesse et mes doigts ont blanchi.
- Parce que même quand tu disparais, tu ne disparais jamais vraiment.