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Critique de harvard


Julius Stein, majordome à Sigmaringen, château des princes Hohenzollern et prince lui même de tous les majordomes, figure altière, hiératique autant qu'effacée par le prestige de sa fonction, d'éducation tant discrète qu'érudite, nourrie de la grande culture des Lumières et du romantisme allemand, grand intendant, maître des cérémonies et des taches ancillaires du château qu'il instruit avec sagesse et panache, un personnage de l'ombre au service des princes et un grand seigneur dont les vertus d'abnégation et d'humanité le mettent peu à peu en lumière, durant cette période d'occupation du château allemand de septembre 44 à avril 45, où se réfugient Pétain et toute une suite de collaborateurs, composant le gouvernement en exil de l'Etat français, fuyant le débarquement des Alliés en France.

Le personnage de Julius est au centre du roman "Sigmaringen", sa plaque tournante et Pierre Assouline en fait l'observateur privilégié d'un microcosme politique dont le pouvoir en exil est en état de décomposition, avant de prendre une nouvelle fuite dispersée et fatale à l'arrivée des armées Alliées.

Dans ce monde en fuite, que protègent les ors et le faste d'une noblesse qui leur offre gite et couvert sur ordre d'Hitler, aristocratie qui dans sa majorité ne se serait jamais commise avec le national-socialisme, sans toute fois le condamner et le combattre, attachée à la préservation de ses privilèges, viennent s'agglutiner tous ces politiques français ralliés au nazisme, "les petits marquis de la collaboration" (Celine) les Doriot, Rabatet, de Brion, Laval ... accompagnés pour certains par leur épouse, comme Pétain. Cette haute classe allemande doit sa survie à son haut lignage aristocratique et une certaine neutralité, elle ne sert personne, excepté ses propres causes qui sont de nature supérieure.

Assouline par les yeux de Julius regarde tout ce monde s'agiter, avec une certaine jubilation non ostentatoire et un esprit critique et rigoureux. Julius dans sa passion érudite du lied schubertien consigne dans un carnet depuis 1933 toutes les atteintes portées par le fascisme à la vie culturelle et musicale de l'Allemagne, les concessions d'un Furtwängler, une flèche décochée à Karajan qui fricota avec les jeunesses hitlériennes. Nous aurons surtout quelques confidences sur Celine, alias docteur Destouche, médecin des pauvres, dont il nous donnera un portrait assez sympathique, sans omettre son coté caractériel, atrabilaire, avec son chat Bebert en goguette, accompagné de sa femme. Avec quelques éclairs de génie, Julius qui le croise : "alors docteur toujours seul", à quoi il répondit aussitôt "je m'entraîne à la mort". On sait la présence de la camarde dans chaque page du "Voyage au bout de la nuit".
Arrivent les troupes alliées avec un déluge de feu, qui épargneront Sigmaringen, "voici venir la mort avec sa gueule de raie".
Assouline nous donne une série de portraits de la collaboration, ainsi Pétain qui se met à l'écart de ce milieu interlope, nourri au grain de la jalousie, des ambitions et des petites entorses aux règles humanitaires, Darnand "ce soldat tout d'un bloc", Doriot ses intrigues, ses espions, ses vacherie dans la satire, Bonnard le plus cultivé des ministre qui s'exprimait dans le beau langage, "pas de quoi faire hennir les constellations".
Cette galerie est émaillée de nombreuses anecdotes, sur le service du château, un vol de couverts, un chantre sublime qui se fait entendre incognito à l'office du dimanche, la vie grouillante au bas du château qui rassemble de plus en plus de réfugiés français, les farces du docteur Destouche, une taupe SS dans le personnel du château ... et dès avril 44 , la débandade, un monde en déroute et atterré qui continue de fuir l'avancée inexorable des troupes alliées qui finissent par investir le château. Nous ne pouvons ici en faire le compte.

Pour donner du poids et attacher plus facilement le lecteur au récit, très haché par tous ces différents épisodes d'histoire confidentielle qui s'alignent dans un désordre très construit, Assouline autorise Julius à vivre finalement une romance délicate, en demie teinte avec Mlle Wolfermann qui est au service du maréchal Pétain et qui s'avérera avec l'arrivée de l'armée française en avril 44, être un agent des services secrets dans la résistance. L'auteur nous offre ici quelques pages brèves, étonnantes, émues et fortes, d'une tendresse retenue et mélancolique. L'amour romantique entre Saint Preux et Julie dans "la nouvelle Héloise", peut se rhabiller. Ici , l'émotion est garantie sans ogm, ne serait ce que pour faire la promotion de l'adage où de beaux sentiments peuvent vraiment nourrir une bonne littérature. Merci monsieur Assouline.
Au final ce livre est d'excellente facture, son écriture me semble un peu "verticale", le récit est assez cumulatif, très respectueux de ses sources historiques (prodigieux travail documentaire) et le dénouement à l'arrivée des forces alliées, nous saisit d'une émotion inattendue, qui vient en contrepoint de la grande maîtrise mesurée de ce majordome hiératique, maître des horloges.



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