Je ferme les yeux, j'embarque pour le Japon, mon guide
Nakajima Atsushi, un type féru de littératures chinoise et française,
Voltaire et
Montaigne sont ses références. A peine attablés autour d'une bière locale qu'il m'embarque pour les îles Palaos, Pacifique sud. le soleil et le sable qui caressent ma peau, cette chaleur enivrante, cette odeur de noix de coco… et Mariang, une autochtone qui enseigne là-bas le japonais. Certains diront qu'elle est trop ilienne, d'autres trop japonisées. Difficile de trouver sa place là-bas ou ici, dans un pays colonisé, qu'on appartient au colonisateur ou au colonisé. D'ailleurs, Nakajima a vécu là-bas, lui-même en tant qu'enseignant avant de revenir au pays, le climat subtropical n'était pas vraiment favorable à son asthme. En fait, j'ai le sentiment qu'à traves Mariang, il me parle un peu de sa vie.
Je lui offre la seconde tournée, j'en envie qu'il me parle encore, et on parle mieux autour d'une bière. Et le voilà qu'il m'embarque à nouveaux vers d'autres contrées. Je me retrouve en Corée, sous l'occupation japonaise bien entendu. Toujours cette même ambiance malsaine due à la colonisation d'un territoire, d'un peuple. Mais là point de soleil. Hiver 1923, le vent est glacé, la bave des boeufs gèle aussitôt de leur gueule. Les pèlerins cheminent vers probablement le bout de la route, de toute façon, ils vont gelés sur place, tout bleu, des morts le long des routes. Jamais vu un froid aussi intense, j'ai les doigts qui tremblent, le coeur bleu. D'ailleurs là-bas même la lune est bleue. C'est dire…
Je demande à ce qu'on nous apporte un flacon de saké chaud, pour se réchauffer un peu l'âme et continuer à discuter ensemble. Et lorsque ses souvenirs l'amènent loin d'ici, j'y sens beaucoup de mélancolie. Ramené à la réalité, il a le regard triste à travers ses grosses lunettes. Il se demande ce qu'il doit faire. En tant qu'écrivain ou en tant que japonais. Qu'est-ce qu'un écrivain est sensé faire en temps de guerre. S'enrôler ou continuer à écrire, mais pour dénoncer ou propagander… Nakajima ne se posera pas longtemps la question il est mort en 1942 à 33 ans…