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Critique de okada


« Histoire du lion Personne » raconte l'histoire… d'un lion ! Mais pas n'importe lequel ! Un lion « historique » ! Kena, nom de baptême rapidement francisé en « Personne », en hommage au Ulysse d'Homère, naît au Sénégal, où les hasards de la vie font que le jeune Yacine, féru de mathématiques et assoiffé d'ambition, emporte ce lionceau orphelin loin de sa savane.
Personne devient un commensal des hommes et s'attache l'amitié de Pelletan, le directeur Royal de la Compagnie du Sénégal chargée de renflouer les caisses de la France avec le commerce de la gomme arabique, de l'ivoire et de l'or. Pelletan est un humaniste qui rêve de mettre fin à l'esclavagisme. Personne devient pour lui un symbole, une sorte de lion apprivoisé et docile qui vit en liberté parmi les autres animaux domestiques et dont s'émeut la bonne société colonialiste de Saint-Louis ainsi que le personnel de cette dernière qui vit dans l'attente effrayée du réveil de la bête.

Puis notre gentil fauve s'embarque, après moult péripéties, pour la France. Il débarque au Havre en mai 1788, flanqué du chien Hercule, à qui une amitié fidèle le relie, traverse à pieds le pays, escorté de Jean Dubois un jeune naturaliste, ancien factotum de Buffon. le jeune scientifique et ses amis à quatre pattes prennent pension à la Ménagerie royale de Versailles et assistent à la lente décomposition de la Monarchie, à la Révolution et à l'avènement d'un nouvel ordre. Avec les autres animaux de Versailles, ils migreront dans la toute nouvelle Ménagerie du Jardin des plantes à Paris où ils finiront tristement leurs jours. D'abord honnis par la populace pour qui ce lion représente les privilèges et les caprices royaux, ils deviendront peu à peu une attraction courue ; on s'extasiera devant la douceur du fauve envers son copain canin…
Cette troisième partie du livre m'a semblé la plus chargée de sens : si les humains ont bien du mal à vivre entre eux selon la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », Personne et son ami Hercule ont depuis longtemps trouvé la formule des deux dernières assertions. Pour la liberté, on repassera : le récit semble insinuer que l'être humain retombe toujours dans ses travers : Royalistes ou Révolutionnaires sont pétris d'idées préconçues et, pour eux, un lion, quel qu'il soit, ne changera jamais et mérite l'enfermement.
Mais cette ultime partie ne prend du poids qu'au regard des précédentes.

A travers le destin d'un lion, Stéphane Audeguy dresse le portrait d'hommes confrontés à leurs rêves, à leurs instincts et à leurs limites. D'hommes enchaînés à leur propre histoire et à la grande histoire.
Le lion est ici un fil directeur, chacune des grandes parties relatant les ambitions inachevées de trois personnalités : le jeune Yacine, Pelletan et Dubois et des prisons sociales de leur époque.
C'est une idée originale et déstabilisante que l'auteur a eu de faire mourir ainsi ses protagonistes humains au fil des chapitres. Personne assiste impuissant à la disparition de ses protecteurs sans jamais prendre la parole.

C'est donc un récit étrange, un peu haché, mais non dénué d'intérêt. L'histoire du lion Personne nous est bel et bien raconté mais le texte recrée surtout un temps.
La description du Sénégal du dix-huitième siècle m'a envoûté. Cette vision de l'Afrique rêvée, encore à moitié-« civilisée » ainsi que l'écriture m'ont régalé et m'ont permis de pénétrer ce livre peu commun. Puis la description de Versailles et de la Ménagerie du Jardin des plantes m'ont aussi beaucoup captivé. J'ai apprécié d'entrer ainsi dans l'histoire de France par la petite porte.

Je dirais aussi que c'est avant tout le livre d'un amoureux de la langue.
Stéphane Audeguy s'est lancé un défi : raconter l'histoire d'un lion sans le faire parler puisque, nous explique-t-il sur la quatrième de couverture, « il y a une indignité à parler à la place de quiconque, surtout s'il s'agit d'un animal ». Je ne partage pas cet avis car, selon moi, c'est l'une des ressources du créateur de puiser dans son imagination et dans un fond commun pour se mettre à la place de l'autre.
Mais l'auteur réussit son exercice de style et c'est son art qui nous entraîne plus que le récit finalement ténu. Il me semble que les mots l'amusent toujours quand le récit sert parfois de prétexte à des descriptions somptueuses. Une belle langue frôlant en de rares passages la préciosité mais qui est appréciable. Une mention spéciale aussi pour l'utilisation exacerbée du point-virgule ! Un autre exercice de style que l'auteur s'est imposé ou une marque de fabrique ? Je relirai sa « Théorie des nuages » avec joie pour me faire un avis…
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