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EAN : 9782021331783
224 pages
Seuil (18/08/2016)
3.78/5   121 notes
Résumé :
« Il est absolument impossible de raconter l’histoire d’un lion, parce qu’il y a une indignité à parler à la place de quiconque, surtout s’il s’agit d’un animal. Il est absolument impossible de raconter l’histoire du lion Personne, qui vécut entre 1786 et 1796 d’abord au Sénégal, puis en France. Cependant, rien ne nous empêche d’essayer. » Histoire du lion Personne entremêle, en une série de tableaux picaresques, la vie d’un lion à l’histoire de France de la fin de ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
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AH ! LION... ENFANT DE LA PATRIE...!

Yacine est, dans le malheur de sa jeune existence, une jeune garçon plein d'avenir sur lequel de bonnes fées semblent s'être, malgré tout, penchées : Orphelin de père et de mère, dans un village reculé du Sénégal encore très méconnu des blancs en cette fin de siècle se prétendant "des Lumières", Yacine est un adolescent malin, intelligent, même. Et qui n'a rien à perdre. Passionné de mythologie et de mathématiques, il est envoyé par le bon père Jean, seul missionnaire des environs, vers le principal comptoir commerçant de cette jeune colonie : St Louis. Il est muni d'une lettre de recommandation qui devrait lui assurer son avenir, probablement en tant que diacre, avec de la chance comme prêtre, même si, en son jeune âge, il ne croit déjà plus ni à Dieu ni à Diable, mais est-ce si dérangeant lorsqu'il n'y a nulle autre véritable échappatoire possible à la misère de sa naissance et de sa race ?
Sur le chemin qui le mène à St Louis, le hasard va lui faire rencontrer un lionceau esseulé, visiblement lui aussi orphelin et qu'il décide de prendre en charge. Ce jeune mythologue amateur, dont le héros préféré est Ulysse, décide de nommer son protégé Kena ("personne", en wolof), en l'honneur du nom que le malin Roi d'Ithaque avait confié au cyclope Polyphème. Mais c'est l'homme qui prendra le jeune Yacine sous sa protection - le directeur de la Compagnie Royale du Sénégal, nommé Jean-Gabriel Pelletan de Camplong, un noble méridional déclassé pour cause de mauvaises affaires - qui donnera son nom définitif au noble animal : Personne !

Bien évidemment, Stéphane Audeguy ne cessera, par la suite, de jouer sur l'ambiguïté entre le substantif "Personne" et le pronom indéfini, le plus indéfini qui soit, pourrions-nous ajouter !

Voilà donc le lion quasi-adopté par ce nobliau atypique. Ce dernier est, en effet, un pur produit des lumières, fils spirituel du Jean-Jacques Rousseau des Confessions et des encyclopédistes. Mais la réalité que l'auteur donne de cette fin de siècle n'est pas vraiment celle de l'imagerie d'Épinal : notre homme est seul, bien seul, à défendre l'idée que l'esclavagisme est une monstruosité de l'homme contre lui-même. Seul encore à attacher de l'importance à une certaine rectitude morale dans son activité - le commerce - où il est de mise de faire feu de tout bois. Seul à véritablement songer que ce Lion mérite sincèrement d'être sauvé (en dehors de son petit protégé sénégalais). Seul à estimer qu'une meilleure et saine exploitation du Sénégal passe, entre autre, par la connaissance directe du pays, l'apprentissage du wolof, par le respect des peuples locaux. Seul, enfin, à aimer autrement qu'à de pures fins de libertinage, un autre homme ; en l'occurrence un superbe et indomptable ancien esclave - lui-même ancien esclavagiste -, venant d'une de ces petites tribus nomades du désert. Un tel homme ne peut s'attirer qu'inimitiés, crainte, désaveu, jalousies. Cela ne manquera pas d'arriver très vite, notre pauvre lion en étant d'ailleurs le principal déclencheur. Entre temps, comme pour rappeler que l'on meurt bien plus vite que l'on ne parvient à vivre en ces temps-là, le jeune Yacine, pourtant si prometteur, mourra brutalement de la vérole à laquelle il avait si miraculeusement échappé jusque-là.
Fin du Premier Acte.

Adoncques, notre Lion a perdu son premier maître, dont on apprend qu'en ne le voyant plus jamais venir lui faire moult tendresses, il en «gémissait, sans mots pour fixer la douleur. Petit à petit, il finit par oublier complètement Yacine ; mais ce fut le dernier à le faire». Fermez le ban...

La période qui suit sera probablement, malgré la disparition de son premier petit ami humain, la plus douce, la plus agréable de sa vie de lion domestiqué. En raison de la grande solitude de Pelletan, ce dernier l'emmène un peu partout, le considère comme un véritable animal de compagnie, aussi bien traité que s'il était humain. de plus, Personne s'est trouvé une étrange, une inséparable amitié en la présence d'un chiot bâtard très vite appelé Hercule. Enfin, Pelletan fera venir de France sa fille unique, alors âgée de sept ans, car il ne souhaite pas qu'elle subisse l'influence superficielle, vide, de sa mère et de sa belle famille. Personne et Marie - ainsi s'appelle-t-elle - s'adopteront l'un l'autre immédiatement. Malheureusement, les nuages grondent déjà sans que cette étrange famille en ait réellement pris la mesure. Un malheureux accident à l'encontre de l'enfant pourrit-gâté d'un noble en vue en sera le terrible déclencheur. Pelletan n'a d'autre solution que de confier son lion et son compagnon canin à la Ménagerie Royale de Versailles, le célèbre Georges-Louis Leclerc Buffon avec lequel il entretenait correspondance en étant l'un des promoteurs.
Bien qu'ayant pris toutes les dispositions possibles (et humainement acceptables par une bande de marins rustres et âpres au gain), le voyage vers la métropole sera un véritable calvaire, les deux animaux étant pour ainsi dire laissés à eux-même, et à fond de cale, se nourrissant des rats du navire, buvant une infecte eau croupie, faisant sous eux sans aucun entretien.
A l'arrivée au "Havre de Grâce" (ancien nom du Havre), ce sont deux animaux étiques, pouilleux, dévorés par les vers et la vermine, fatigués, sans force. Nous sommes à la fin du mois de mai 1788. Il fait un froid presque hivernal dans cette France des derniers moments de l'Ancien Régime. Un jeune homme détaché par le Jardin royal est là, terrifié à l'idée d'approcher de si près le "Roi des animaux", ne sachant d'ailleurs comment procéder. Il se nomme Jean Dubois. Premier être humain depuis des semaines à lui parler sans haine, avec douceur même, notre Lion va trouver en cet humain un allié, presque déjà un ami et le suivra sans faire de difficulté.
Fin du Second Acte.

Le troisième, l'ultime acte, est celui de la fin d'un régime, des troubles les plus annonciateurs - en grande partie provoqués, déclenchés par cette année affreuse, la pire de toute une série, que fut l'an de grâce 1788 : un hiver interminable, un été atroce, connaissant un orage démentiel et destructeur de récoltes - très bien documenté historiquement grâce à des mémoires de l'Académie des sciences - le 13 juillet 1788. Un an presque tout juste avant un orage d'une toute autre ampleur et d'un autre genre. C'est dans ce contexte que Dubois, le Lion Personne et le chien Hercule parviendront, à l'issue d'une dernière épique odyssée, à Versailles. Hélas, Dubois y découvrira une Ménagerie royale presque totalement en déshérence, son dernier directeur s'étant enfui, avec tout ce qui comptait encore de meubles, d'outils, etc, le jour même de l'arrivée des trois compères en ce lieu misérable. Dubois fera tout son possible pour sauver les meubles et leur rendre une existence digne à des animaux dont il se retrouve ainsi en charge. Il restera encore à cette malheureuse bête à déménager, une ultime fois, grâce à une autre célébrité, Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, auteur du fameux Paul et Virginie mais néanmoins naturaliste et dernier intendant des Jardins royaux. Personne et Hercule y achèveront leur existence, non sans une certaine célébrité populaire.

Si l'époque révolutionnaire est traitée sur un rythme trépident, et le plus souvent par le biais d'hyperboles, en quelques trente pages, à y bien y réfléchir, toute cette fable - bien peu animalière, en vérité. A moins de ne considérer l'homme que comme un animal pensant - tend vers ce moment si particulier de notre histoire. Que l'on contemple, sans regret mais avec un brin de nostalgie pour cette période inique, injuste, la fin de l'absolutisme royal, des pouvoirs exorbitants de l'aristocratie - l'église n'est guère le sujet de l'ouvrage mais bénéficie tout de même ici d'un traitement relativement bienveillant, à travers les trois modestes prêtres croisés - ; que l'on comprenne l'émergence d'une bourgeoisie d'affaire, généralement inculte mais dure en affaire et prête à tout pour s'enrichir ; que l'on entende les premiers fracas causés par cette population pauvre et en colère, à force de disette, de maltraitance, d'absence - ou du sentiment - de considération, l'histoire tout à la fois singulière et totalement secondaire de ce lion Personne permet à Stéphane Audeguy de décentrer totalement l'histoire de la révolution mais de la rendre, paradoxalement, plus vraie, plus juste, plus sensible.

Cependant, comme toutes les fables, celle-ci comporte plus d'une entrée. Comme celle de cette amitié indéfectible entre deux êtres si différents que sont un lion et un chien, et qui, par exemple, toucha sincèrement Bernardin de Saint-Pierre qui rédigea par exemple ceci dans l'un de ses mémoires (dont il est clair que Stéphane Audeguy s'est inspiré dans son livre) :

«Jamais je n'avais vu tant de générosité dans un lion, et tant d'amabilité dans un chien. Celui-ci sembla deviner que sa familiarité avec le roi des animaux était le principal objet de notre curiosité. Cherchant à nous complaire dans sa captivité, dès que nous lui eûmes adressé quelques paroles d'affection, il se jeta d'un air gai sur la crinière du lion, et lui mordit en jouant les oreilles. le lion, se prêtant à ses jeux, baissa la tête et fit entendre de sourds rugissements.»

Lui faisant même ajouter que cette amitié était «un des plus touchants spectacles que la nature puisse offrir aux spéculations d'un philosophe» ! Qui pose, entre autre, la question de la supposée sauvagerie de l'animal, face à l'urbanité des hommes. Mais à bien y regarder, au fil de ce périple qui nous mène de la savane africaine jusqu'à sa mort à Paris, on se demande, à quelques individualités près et pour le coup véritablement généreuses, qui de l'homme ou de la bête est le plus mauvais, le moins généreux, le plus "bêtement" méchant, le plus susceptible de faire du mal à l'autre, et pour comble de tout, souvent sans en retirer le moindre bénéfice personnel ou général, sinon par pure bêtise, ignorance, obscurantisme.

Il y a, bien entendu, les réflexions faites autour de cet homme singulier - et attachant, peut-être le plus attachant parce que le plus creusé, psychologiquement, du trio des humains-compagnons de Personne - qu'est Pelletan. Sur la liberté, sur l'utilisation immodérée d'autrui (l'esclavage) et de la nature (la mise en coupe réglée des ressources), sur la relation aux autres et à ces égaux devant la vie, dont nous sommes pourtant redevables, que sont les animaux (en raison de la toute-puissance que nous pouvons avoir sur eux), sur la sexualité et l'homosexualité, sur les conventions, la vie en société et tous ses faux semblants.

Il y a, pour poursuivre encore, ce lion et son épopée, très vite mise sous l'angle d'une autre entrée possible, celle des voyages d'Ulysse. Il y aurait beaucoup à en dire, peut-être retiendra-t-on que, comme le grec homérique, notre Personne subit bien plus qu'il ne les décide les diverses aventures et autres grands événements qu'il traverse au cours de ces dix surprenantes années d'existence. Mais c'est une errance sans Pénélope ni Télémaque qui l'attend. Une allégorie de la destinée humaine ?

Enfin, et pour boucler la boucle des hommes, il y a cette vision d'un monde qui change sans doute plus en apparence que dans le fond, un monde dans lequel les nobles sont remplacés par les riches bourgeois, un monde où les mauvais travers, les horreurs, perdurent, esclavagisme en tête, auquel d'ailleurs tout le monde semble participer et trouver son compte, noirs comme blancs, une société où tout le monde ment - c'est ce que nous dit le narrateur - noirs comme blancs.

Sous ses dehors de sympathique et allégorique joliesse, au style agréablement déployé - il serait très exagéré d'y retrouver parfaitement le "français grand style" des philosophes des Lumières, mais on sent la volonté de l'auteur de se situer sur une telle lignée -, au phrasé étale, n'hésitant pas à jouer des points-virgules ou des développement savamment tortueux, sous le conte historiquement véridique (et très sourcé à ce qu'il semble) se découvre ainsi une fable désenchantée, une parabole tout à la fois emprunte d'humanité mais pour autant sans grande illusion sur l'homme et sa destinée. L'ensemble donne un texte humblement philosophique - hommage aux célèbres contes de Voltaire ? - tout à la fois charmant et instructif dont on regrettera peut-être pourtant qu'il effleure plus qu'il ne creuse tous les thèmes qu'il aborde avec tant de finesse d'esprit, cédant un peu d'une densité manquante à une plus grande lisibilité. C'est un choix parfaitement respectable et dont on sort, admettons-le, fort satisfait.
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C'est l'histoire de l'arrivée du premier lion à la ménagerie du jardin des plantes de Paris pendant la révolution française. Récit riche en rebondissements. L'histoire commence sur les bords du fleuve Sénégal où un enfant trouve un lionceau abandonné qu'il va apprivoiser. Les personnages sont très bien décrits et l'on sent que l'auteur s'est longuement documenté sur les premiers établissements européens au Sénégal. Les péripéties du lion Personne s'apparentent parfois à un très joli conte en dépit d'une histoire pas toujours très heureuse pour le félin. Un livre qui se lit rapidement et nous plonge dans les derniers soubresauts de la royauté. Un livre qui intéressera petits et grands.
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« Histoire du lion Personne » raconte l'histoire… d'un lion ! Mais pas n'importe lequel ! Un lion « historique » ! Kena, nom de baptême rapidement francisé en « Personne », en hommage au Ulysse d'Homère, naît au Sénégal, où les hasards de la vie font que le jeune Yacine, féru de mathématiques et assoiffé d'ambition, emporte ce lionceau orphelin loin de sa savane.
Personne devient un commensal des hommes et s'attache l'amitié de Pelletan, le directeur Royal de la Compagnie du Sénégal chargée de renflouer les caisses de la France avec le commerce de la gomme arabique, de l'ivoire et de l'or. Pelletan est un humaniste qui rêve de mettre fin à l'esclavagisme. Personne devient pour lui un symbole, une sorte de lion apprivoisé et docile qui vit en liberté parmi les autres animaux domestiques et dont s'émeut la bonne société colonialiste de Saint-Louis ainsi que le personnel de cette dernière qui vit dans l'attente effrayée du réveil de la bête.

Puis notre gentil fauve s'embarque, après moult péripéties, pour la France. Il débarque au Havre en mai 1788, flanqué du chien Hercule, à qui une amitié fidèle le relie, traverse à pieds le pays, escorté de Jean Dubois un jeune naturaliste, ancien factotum de Buffon. le jeune scientifique et ses amis à quatre pattes prennent pension à la Ménagerie royale de Versailles et assistent à la lente décomposition de la Monarchie, à la Révolution et à l'avènement d'un nouvel ordre. Avec les autres animaux de Versailles, ils migreront dans la toute nouvelle Ménagerie du Jardin des plantes à Paris où ils finiront tristement leurs jours. D'abord honnis par la populace pour qui ce lion représente les privilèges et les caprices royaux, ils deviendront peu à peu une attraction courue ; on s'extasiera devant la douceur du fauve envers son copain canin…
Cette troisième partie du livre m'a semblé la plus chargée de sens : si les humains ont bien du mal à vivre entre eux selon la devise « Liberté, Egalité, Fraternité », Personne et son ami Hercule ont depuis longtemps trouvé la formule des deux dernières assertions. Pour la liberté, on repassera : le récit semble insinuer que l'être humain retombe toujours dans ses travers : Royalistes ou Révolutionnaires sont pétris d'idées préconçues et, pour eux, un lion, quel qu'il soit, ne changera jamais et mérite l'enfermement.
Mais cette ultime partie ne prend du poids qu'au regard des précédentes.

A travers le destin d'un lion, Stéphane Audeguy dresse le portrait d'hommes confrontés à leurs rêves, à leurs instincts et à leurs limites. D'hommes enchaînés à leur propre histoire et à la grande histoire.
Le lion est ici un fil directeur, chacune des grandes parties relatant les ambitions inachevées de trois personnalités : le jeune Yacine, Pelletan et Dubois et des prisons sociales de leur époque.
C'est une idée originale et déstabilisante que l'auteur a eu de faire mourir ainsi ses protagonistes humains au fil des chapitres. Personne assiste impuissant à la disparition de ses protecteurs sans jamais prendre la parole.

C'est donc un récit étrange, un peu haché, mais non dénué d'intérêt. L'histoire du lion Personne nous est bel et bien raconté mais le texte recrée surtout un temps.
La description du Sénégal du dix-huitième siècle m'a envoûté. Cette vision de l'Afrique rêvée, encore à moitié-« civilisée » ainsi que l'écriture m'ont régalé et m'ont permis de pénétrer ce livre peu commun. Puis la description de Versailles et de la Ménagerie du Jardin des plantes m'ont aussi beaucoup captivé. J'ai apprécié d'entrer ainsi dans l'histoire de France par la petite porte.

Je dirais aussi que c'est avant tout le livre d'un amoureux de la langue.
Stéphane Audeguy s'est lancé un défi : raconter l'histoire d'un lion sans le faire parler puisque, nous explique-t-il sur la quatrième de couverture, « il y a une indignité à parler à la place de quiconque, surtout s'il s'agit d'un animal ». Je ne partage pas cet avis car, selon moi, c'est l'une des ressources du créateur de puiser dans son imagination et dans un fond commun pour se mettre à la place de l'autre.
Mais l'auteur réussit son exercice de style et c'est son art qui nous entraîne plus que le récit finalement ténu. Il me semble que les mots l'amusent toujours quand le récit sert parfois de prétexte à des descriptions somptueuses. Une belle langue frôlant en de rares passages la préciosité mais qui est appréciable. Une mention spéciale aussi pour l'utilisation exacerbée du point-virgule ! Un autre exercice de style que l'auteur s'est imposé ou une marque de fabrique ? Je relirai sa « Théorie des nuages » avec joie pour me faire un avis…
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« Les Deux Amis, fable authentique »

Histoire du lion Personne de Stéphane Audeguy ouvre les portes de notre coeur d'enfant comme un émerveillement tendre et froid, une douceur amère, ce lion au coeur de nounours happe notre tendresse avec beaucoup de douceur.
Ce conte narre l'itinéraire d'un lion nommé Personne du Sénégal au Jardin Géologique de Paris en passant par la Ménagerie de Versailles de la veille à la fin de la révolution Française, entre 1786 et 1796.
1786, dans la savane, un jeune garçon, orphelin découvre un lionceau, abandonné probablement, cette rencontre est inéducable, le destin de ce jeune sénégalais compense son orphelinat avec celui d'un autre orphelin, ce félin égaré, abandonné pour s'unir dans leur orphelinat pour une amitié de circonstance et sincère.
Ce lion au nom illustre, Personne surnom d'Ulysse personne mythologique de l'Odyssée d'Homère nommé par deux protecteurs lors d'un passage fort amusant. le jeune africain se moque gentiment de la bêtise occidentale pour faire cette remarque savoureuse :

« On aimait à se moquer des toubabs, de leurs petits travers ; et que parmi ceux-là il y avait la manie de vouloir toujours appeler les lions Simba. Ce qui était assez bête : le mot signifiant lion, c'était un peu comme si les Noirs décidaient d'appeler tous les chiens des Blancs Chienne, ou Chien »

Stéphane Audeguy avec beaucoup de subtilité se pose la question de l'énigme animale, pour lui cette énigme animale se déroule à l'époque de ce changement brutale lors de la révolution, celle des hommes mais aussi par effet de boomerang celui des animaux. le XVIIe siècle passe d'un régime d'apparat avec les jardins d'agréments qu''entrainait le roi pour briller de mille feux au milieu de cette ménagerie fantasque pour celui des zoos, ou l'animal sera plus une source scientifique, Personne vivra cette mutation passant de l'un à l'autre sans y faire attention ou presque. En effet un loi interdit l'exhibition des animaux dans les rues Parisiennes, ils seront amenés à la Ménagerie du jardin des plantes, tout juste créée ce qui entrainera par la suite la création des zoos. Et les enjeu politiques sont nombreux, importants, le lion roi des animaux, le roi celui des hommes, il se doit d'avoir le lion, le roi des animaux comme un trophée, une main prise sur les animaux, la Nature en générale, alors la révolution se pose la question du devenir de cet animal, Personne aura cette incertitude…J ‘ai découvert cette mutation de la question animal avec ce livre comme une évidence pour fouiller un peu plus cette pertinence historique.
Ce roman livre une amitié animale surprenante entre ce chien et ce lion, leur parcours l'un avec l'autre .Ce lien entre ces deux êtres est puissant, hors norme, cette amitié illumine la noirceur humaine, cette inhumanité propice à l'homme. Cette barbarie humaine sera le leitmotiv subit par ces deux compagnons sauvés par la bienfaisance de quelque rares hommes, et la providence. Victor Hugo relata dans Les misérables à deux reprises un lion et un chien en cage, une réalité lointaine dans ce chef d'oeuvre, une coïncidence surprenant.
Il y a ce style indirect dans ce roman, cette distance créant cette force et cette beauté, ce détachement, le lion ne parle pas, il ne raconte pas son histoire, le roman n'est pas à la première personne, il n'y a pas de dialogue. Ce conte n'est pas une fable, le lion ne raconte pas son histoire, il n'a pas l'usage de la parole et il ne faut pas parler à la place des autres, mais nous pouvons raconter les sentiments ressentis par la relation entre Yacine et le lion puis avec le directeur de la compagnie du Sénégal. Tout au long du roman le lion Personne ne reste qu'un félin, avec cette agressivité endormie, sa férocité, lorsqu'il dévorera le petit chiot en fin de roman puis cette sensibilité présente lorsque meurt Yacine, il est le dernier à s'en souvenir….
Beaucoup d'émotion coule dans le coeur de ce roman, celui de ce lion Personne, ce gros chat apprivoisé que j'aimerai croiser pour prendre dans mes bras et être en osmose avec cet être de sagesse …
Beau roman .
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Quand j'étais étudiante, ma chambre donnait sur le jardin botanique  de Tours, la ville natale de Stéphane Audeguil , j'étais intriguée par un rugissement puissant provenant d'une serre : celui d'un lion écoulant ses vieux jours dans une cage après avoir passé ses années de jeunesse dans un cirque . Il me plait d'imaginer que ce fauve captif était peut-être l'un des descendants du lion Personne ... à condition que ce lion ramené à Versailles après moult péripéties ait eu l'opportunité de conter fleurette à Dame Lionne .

Ce court roman  a l'apparence d'un conte mais sous des contours merveilleux , celui de l'adoption d'un lion orphelin et de son arrivée en France à la veille de la Révolution ,  il aborde des sujets plus profonds car chaque individu croisant le chemin du fauve a un destin et une personnalité hors du commun .

Yacine, le jeune noir qui recueille le lionceau quitte son village pour aller étudier et offre l'animal au directeur royal de la Compagnie du Sénégal, Jean Gabriel Pelletan, un humaniste bien différent de la bonne société blanche et colonialiste de Saint Louis .

Personne est envoyé en France , accompagné de son fidèle compagnon , le chien Hercule sous l'escorte de Jean Dubois, un jeune naturaliste , élève de Buffon .

Logés d'abord à la ménagerie royale de Versailles, les amis subissent indirectement les affres de la révolution, et l'avenir du roi des animaux est peu brillant car il finit ses jours tristement enfermé au futur jardin des plantes comme mon vieux lion dans sa serre .

Stéphane Audeguil emploie une belle langue , à la limite parfois du précieux , jouant sur l'ambiguïté du nom de son lion : Personne et en peu de pages , il décrit un monde en mutation, que ce soit en Afrique d'abord puis en France .

Très bon moment de lecture .
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critiques presse (4)
LeFigaro
02 décembre 2016
Nos prédécesseurs lisaient volontiers des vies de saints ou des vies d'artistes, Histoire du lion Personne invente un troisième volet du genre: les vies d'animaux.
Lire la critique sur le site : LeFigaro
LesEchos
05 octobre 2016
Le roman, qui tient du conte et de la fable, est un petit bonheur d'érudition joyeuse, pertinente et impertinente.
Lire la critique sur le site : LesEchos
Lexpress
19 septembre 2016
C'est simple, direct, beau, et il faut lire cet épatant roman. Pour rugir de plaisir.
Lire la critique sur le site : Lexpress
Telerama
07 septembre 2016
En pleine Révolution française, il ne fait pas bon être un lion dans la Ménagerie royale. Un conte brillant.
Lire la critique sur le site : Telerama
Citations et extraits (27) Voir plus Ajouter une citation
Et Jean Dubois, qui avait en sa prime jeunesse dévoré tous les romans de chevalerie du vieux temps dans un poussiéreux cabinet de lecture du quartier Saint-Merri, où il avait grandi, se fit l'impression d'être un chevalier déguisé de la légende, flanqué de son lion fidèle ; quant à Hercule[*], petit, mais loyal et vaillant, il faisait un écuyer tout à fait acceptable.

[NB : cet Hercule est un petit bâtard adopté par le lion peu après sa naissance. L'histoire est véridique.]
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Le lionceau s'endormit. Les humains se turent. La pirogue filait au ras des eaux, dans un étincellement d'écume. Yacine s'installa sur deux défenses et, sur ce lit d'ivoire étonnamment confortable, il s'abîma dans la contemplation des nuages qui défilaient au-dessus d'eux. Et ces signes intangibles et pourtant réels qu'aucune vie humaine n'épuiseraient jamais la vastitude du monde lui firent venir des larmes aux yeux.
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Mais il y a en ce monde trois immensités qui font battre le cœur des hommes et que rien ne prépare à voir : les montagnes, les mers, les cités. Yacine sentit, comprit, aima immédiatement la ville, ses tumultes, ses foules, ses odeurs composites.
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Adal avait participé à la rédaction d’un cahier de doléances, au commencement de la Révolution, pour le compte des Africains. Il était celui qui avait dit aux Noirs d’y faire marquer tout ce qui n’allait pas ; et les anciens avaient choisi Adal pour tenir ce cahier parce qu’il avait appris à lire et à écrire auprès d’un Blanc. Adal avait tout noté, scrupuleusement. Il avait porté lui-même ce document vénérable aux États généraux de Versailles. Puis les choses n’avaient cessé de tourner mal. Il n’avait pas même eu le droit de visiter Pelletan dans sa prison. Et maintenant celui-ci était mort. Quant au Bonaparte, il avait changé de nom comme seul un démon sait le faire. Il s’appelait désormais Napoléon et avait rétabli l’esclavage, qu’on n’avait d’ailleurs pas cessé de pratiquer.
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Il n'était pas de tout repos de nourrir un lion et un chien. Personne n'avait jamais tué une bête de sa vie et le voyage en mer semblait l'avoir rendu plus délicat encore. Il avait toujours eu peu des lapins, et il ne pouvait voir une poule vivante sans témoigner la plus vive répugnance. D'ailleurs les plumes le faisait éternuer. Hercule partageait cette phobie des oiseaux, qu'il poussait jusqu'à ne pouvoir en manger. Aussi Jean Dubois, qui avait grandit à Paris et s'était attiré pendant toute sa jeunesse, les quolibets de ses semblables, parce qu'il s'évanouissait à la seule vue du sang, et faisait de grands détours pour ne pas côtoyer les étals de boucherie, terrains de jeux de tous les enfants de son quartier, Jean Dubois, qui manquait également de défaillir à chaque dissection organisée au jardin royal, se mit en devoir, soir après soir, d'égorger, de dépouiller, de vider, de préparer la pitance de ses protégés. Hercule grignotait sa part, Personne engloutissait la sienne ; ils se couchaient dans la paille, et au matin ils partaient avant l'aube, pour éviter les questions indiscrètes, et pour ne pas susciter ces peurs volatiles qui, en ces temps de trouble, n'étaient jamais très loin des violences et du massacre.
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