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Critique de Zebra


Paru chez Belfond en février 2008 dans la collection Littérature Étrangère, « La lamentation du prépuce » (en américain, Foreskin's Lament) est le premier ouvrage traduit en français (par Bernard Cohen) de Shalom Auslander. « Iconoclastes, hilarants et incroyablement touchants », tels sont les souvenirs, réels ou fictifs, de Shalom, « un jeune juif du New Jersey élevé dans la plus stricte tradition orthodoxe ». Des souvenirs en forme d'anecdotes et de réflexions pas très innocentes sur la réalité de la tradition, tradition confrontée aux désirs d'émancipation et au besoin de racines des juifs d'aujourd'hui.

Dans cet ouvrage courageux de 306 pages, l'auteur n'hésite pas un seul instant à interroger des tabous, à évoquer ce qui ne doit pas être débattu, à émettre des avis et des opinions qui feront blêmir les plus fervents du respect aveugle de cette tradition. Shalom Auslander ne met pas de gants et y prend même apparemment goût. Des exemples ? La quête de la Terre Promise n'est (évidemment) pas terminée, et elle ne le sera peut-être jamais. En attendant, nous sommes tous perdus dans nos déserts respectifs, ridicules et terrifiants, des déserts qui paraissent s'étendre à l'infini. La tradition cacherait la vraie vie, confinerait les orthodoxes dans un univers de « masturbation et fumette » (page 257), un univers où un Dieu insufflerait une dévotion aveugle à Ses ouailles, lesquelles n'en finiraient plus de ratiociner et de s'opposer sur ce qu'il faut faire, dire et penser. Lesdites ouailles seraient ainsi empêtrées dans un cycle tragicomique de malheurs (ancêtres tués dans la Shoah, albums de photos comptant plus de morts et de disparus que de vivants ...) et de solitude. Ce cycle serait ponctué de tentatives désespérées pour s'évader du réel (boulots merdiques, futilité accablante de la vie ...) et pour croire en un souvenir global, un souvenir confortable et apaisant, fabriqué par eux et pour eux, un souvenir qui ne viendrait évidemment jamais. Au milieu de cette malédiction, la circoncision ne serait jamais que l'acte d'un fou qui la pratiquerait sur son fils dans l'espoir de se gagner les faveurs de Dieu, d'un fou qui s'inventerait ou se réfugierait derrière des rites, des bénédictions, des prières et des textes dont le sens réel restera, jusqu'à la nuit des temps, obscur et impénétrable aux non-spécialistes.

Le lecteur comprendra vite ce qui a poussé Shalom Auslander à adopter sur ces différentes thématiques un ton vif et pétillant, un ton qui convient parfaitement pour traiter de choses graves et particulièrement implicantes, puisque divisant les tenants et les opposants à cette tradition orthodoxe. Avec ses personnages très typés (Shalom lui-même, sa femme Orli, des rabbins, des écoliers …), son contexte moderne et volontairement imagé, des expressions en yiddish et en hébreu pour faire authentique, « La lamentation du prépuce » nous propose -derrière un titre singulier- un pied-de-nez drôle et émouvant aux fondamentalistes, mais pas que ! Plus ou moins auto-biographique, cet ouvrage -qui se lit d'une traite- évoque certes avec réalisme le dilemme vécu par certains juifs, aujourd'hui. Mais plus globalement, le livre conduit à s'interroger sur les fonctions psychologique et sociale de la tradition, quelque soient les peuples concernés et les religions qui la véhiculent. Je mets donc quatre étoiles.
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