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Critique de vibrelivre


L'abbaye de Northanger
Jane Austen
premier roman 1798-9/1817 (édition posthume)
traduit par Pierre Arnaud


Ce pourrait être un roman d'initiation, mais sa durée est si courte, un an, que d'initiation, il n'y en a pas. La jeune fille, l'héroïne de l'histoire, apprend seulement l'importance de l'argent dans les affaires de mariage, et que l'argent peut faire prendre des airs contrefaits ou des comportements trompeurs, voire provoque des revirements presque incompréhensibles, à ceux qui le convoitent. Son coeur est prêt à s'ouvrir, et s'ouvre à la première rencontre. Quand elle capte des propos à moitié cachés, elle les comprend aussitôt. Elle perçoit bien les choses, mais elle est plus occupée à jouir de son plaisir de vivre.
Ce pourrait être un roman d'amour. Mais il est question plutôt d'analyser les intérêts qui poussent les jeunes gens l'un vers l'autre, et la relation qui lie Catherine à un jeune homme ne prend jamais la première place, ni la place entière. de plus, la fin du roman laisse voir que cette relation n'est pas si spontanée de la part du jeune homme. Comme quoi, les dessus font bien de cacher les dessous, s'ils ne sont pas scandaleux ni dangereux.
L'histoire, celle d'une jeune fille qui s'en va de la maison familiale, et fait ses débuts dans le monde, est racontée d'une plume si allègre et si intelligemment moqueuse, qu'elle emporte le lecteur.
L'auteur a de l'empathie pour son personnage, Catherine, que rien ne destinait à être une héroïne, mais qui sait ce qu'elle veut, et refuse toute manipulation : elle aime les romans gothiques d' Ann Radcliffe, et voyant la réalité à travers ses lectures, à la façon d'un Don Quichotte, se retrouve bien sotte d'avoir imaginé des situations qu'on ne rencontre que dans ce genre de livres ; cependant le jugement qu'elle se fait, induit de ses lectures, n'est pas complètement faux ; elle est franche, et désire la justice. C'est une toute jeune fille, âgée de 17 ans, qui découvre les comportements des gens du monde, d'abord dans une station balnéaire à la mode, et très courue, Bath, où somme toute l'on s'ennuie, mais il faut être vu aux bals, ce qui donne l'occasion d'achats de tenues, et de frémissements provoqués par un ruban, ou une coiffure, à la Pump Room où l'on se promène en quête de connaissances, où l'on jase sur les jeunes gens qui se montrent dans des voitures découvertes, sur la fortune de tel ou tel. Des jeunes filles lisent des romans sentimentaux, et singent les manières de faire des amoureux de papier.
De Bath, elle se rend dans une abbaye, et les souvenirs de ses lectures font travailler son imagination, et elle tressaille de plaisir. de plus, elle s'y rend avec l'élu de son coeur, qui bien que de sexe masculin, a les mêmes lectures que sa compagne, et les revendique : sans elles, il serait un homme très ennuyeux ; il est à cheval sur la correction de la langue, sait utiliser sa raison et ramener Catherine à celle-ci. Il travaille. Il aime danser. Il a de bonnes manières. Il juge bien les gens, et conduit sa vie de manière à connaître le bonheur. Elle, ressent le plaisir d'être entre jeunes, sans la contrainte autoritaire qu'un vieil homme fait peser.
Ce roman permet à Jane Austen, toute jeune encore, puisqu'elle écrit L'abbaye dès 1798, de critiquer avec une ironie joyeuse ce qu'elle connaît bien, la vie à Bath, les conventions sociales, l'inappropriation d'emploi des mots, les constructions modernes qui enlèvent le charme de l'ancien, et d'affirmer la priorité de la raison, accompagnée de la sensibilité, dans la conduite de sa vie.
C'est un roman oral, je veux dire que Jane s'adresse à son lecteur, lui pose des questions, lui explique sa façon d'écrire. L'écriture est d'une réjouissante fraîcheur. Quand on sait qu'elle lisait ses romans aux membres de sa famille, on comprend pourquoi elle les écrit ainsi.
le temps n'a pas eu de prise sur ce genre d'écriture ni sur les sujets, toujours actuels. le classique est par définition indémodable. L'auteure étonne et ravit par son esprit perspicace et railleur, sans que rien soit appuyé, sauf peut-être l'insistance sur la façon d'être du père du héros masculin, qui fait naître des soupçons. Ce qui donne des allures de roman policier à L'abbaye. L'auteure étonne, d'autant plus qu'il s'agit d'une femme du début du XIX°. Ce qui fait voir qu'une éducation ouverte, et le généreux concours des livres, dessille les garçons aussi bien que les filles.
Ce serait donc un roman expérimental, pour ne pas dire novateur, dans lequel l'auteur se sert de ce qu'elle connaît, pour exprimer sa façon de voir les choses, et pour proposer, tout en laissant la liberté à son lecteur, autre chose, qui est proche de la nature, de la simplicité, du coeur enfin mais que la raison connaît. Pour le domaine qui l'intéresse essentiellement, la littérature, elle (s')interroge sur les limites de la fiction, et encourage à lire différents genres.
Ce roman, en tout cas, est un vrai plaisir de lecture.







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