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Critique de florigny


Le naufrage de Venise est un lieu commun de l'écologie, l'engloutissement de la Sérénissime est le symbole de la disparition du monde, un poste avancé du déni environnemental, une idée-bateau... Et justement les bateaux sont l'une des spécialités d'Isabelle Autissier, on peut faire confiance à la première femme ayant accompli un tour du monde en solitaire en 1991. Elle s'empare du mythique cataclysme, se fait prophète, embarque ses lecteurs dans un roman où ses compétences d'ingénieur rivalisent avec son talent hors pair de conteuse pour réaliser un puissant plaidoyer incrusté dans une passionnante histoire humaine, et montrer à chacun d'entre nous ce qu'il adviendra des joyaux de l'humanité si les politiques ne font rien, et continuent à regarder plus loin, au-delà de la lagune en détresse. Car la vague tueuse n'est pas forcément pour plus tard, pour un autre jour, pour demain, mais possiblement pour aujourd'hui ; le scenario en est écrit , on sait pourquoi, comment et quoi faire et pourtant aucun politocard ne fait rien.


Même sans être jamais allé à Venise, chaque lecteur a en tête des images de la cité des Doges, de la place Saint-Marc, du pont des Soupirs, de gondoles ou de pizzas, que tous les amoureux du monde entier rêvent d'immortaliser dans des selfies usés jusqu'à la corde. L'une des forces de ce roman est l'incarnation de la ville désertée, des merveilles irrémédiablement perdues. En une poignée de pages poignantes, Isabelle Autissier raconte comment l'un après l'autre lors d'un enchaînement de circonstances prévisibles mais ignorées, tous les voyants se mettent au rouge en un temps record sans que personne réagisse, sans qu'aucune décision soit prise pour éviter le désastre. En moins d'une demi-heure, dans la cité millénaire où chaque immeuble s'adosse à son voisin, l'écroulement du château de cartes se propage sous l'effet d'un tsunami, la transformant en un amas de ruines. le récit est crédible, réaliste, étayé, il fait peur.


Les 3 membres de la famille Malegatti choisis par Isabelle Autissier illustrent les 3 postures le plus souvent adoptées face au désastre de longue date annoncé : Guido le père, conseiller municipal au développement ne jure que par le business, le tourisme de masse encouragé par les vols low cost et les cruise ships bondés de visiteurs qui n'apportent rien, la folie consumériste qui transforme la Sérénissime en parc d'attraction, en Veniseland.


Maria Alba la mère, issue d'une famille aristocratique mais ruinée représente le faste passé, sur lequel elle nostalgise sans fin alanguie sur la balancelle de sa terrasse. Elle tente, armée de son éducation, de maintenir continuité et sécurité dans son foyer. du mariage de la carpe et du lapin entre le paysan et la patricienne désargentée, entre le petit gros et la grande brune, entre le rustre et l'éduquée, quel est le dénominateur commun ? Ils ont donné naissance à Léa, presque majeure, qui se révolte, se radicalise, fréquente des universitaires et des activistes auteurs d'un manifeste documenté et atterré « Sauver Venise ». Elle est la Greta Thunberg de la famille, éperdue de sincérité et follement touchante.


Entre ceux qui croient en la théorie du flux, en l'homo touristicus, persuadés que le pire n'est jamais sûr, et ceux qui armés d'études scientifiques et de graphiques croient que le pire n'est pas impossible, il y a l'alpha et l'omega, le Mose, sa technologie, sa construction chaotique, son budget triplé, son temps de construction décuplé, son milliard d'euros de malversations, un mur, un machin, censé fermer la lagune et la protéger de l'acqua alta et des crues. Il représente la certitude que la nature pliera éternellement face à la folie humaine, et rend les patrons de bistrots de la place Saint-Marc heureux d'avoir leurs terrasses au sec.


Le naufrage de Venise est un roman haletant qui se lit comme un thriller, porté par la magnifique plume de l'auteure, à la fois riche et condensée, documentée sans être jamais rébarbative. Mais il s'agit également d'un manifeste, d'un plaidoyer engagé, irrigué en profondeur par les convictions écologistes, halieutiques, océaniques, humanistes d'Isabelle Autissier qui avec force rappelle que « plus tard sera trop tard ». A lire sans perdre une minute.
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