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Critique de Athouni


« Côté cour » s'apparente d'abord à une dystopie : Leandro Avalos Blacha pousse jusqu'à son terme le règne de la société marchande, dont notre monde dit assez les capacités de nuisance et de dissolution des liens sociaux. « Côté cour » offre le visage d'un monde dont toutes les institutions semblent avoir été balayées au profit d'une unique société privée de téléphonie, Phonemark.

L'auteur ne situe jamais son récit. On pense à ces lieux sans histoire ni vie, ces banlieues uniformisées aux maisons individuelles et identiques, et où chacun peut jouir du même carré de pelouse. L'Etat n'existe pas ou plus. Phonemark semble détenir les pouvoirs régaliens. La milice remplace la police. Mais le plus frappant reste encore l'emprisonnement aux mains du secteur privé (ce qui est déjà largement le cas aux Etats-Unis). Leandro Avalos Blacho pousse simplement un peu plus loin la logique : l'entreprise propose l'emprisonnement de détenus à votre domicile. En somme, le maton remplace le citoyen. Alors certes, l'impôt est mentionné, mais vu le contexte, le lecteur peine à imaginer qu'il ne soit pas tout simplement levé… par l'entreprise. Phonemark, toute puissante, fait inévitablement penser à Big Brother dont elle partage quelques attributs comme la surveillance généralisée (via les téléphones évidemment).

Mais Leandro Avalos Blacha va plus loin et sa critique s'en retrouve plus pertinente et plus moderne. Car le néolibéralisme a passé la seconde, si vous me passez l'expression. Il n'est plus question seulement de surveillance (appelé dans la novlangue libérale « vidéo-protection » - prière de ne pas rire) mais bien de modeler les comportements, de façonner les âmes (essor de l'économie cognitive, de la neuroéconomie, etc.). Ainsi, une autre scène voit des résidents communier en chanson, à la manière d'un gospel mais sur l'air du jingle pub de Phonemark, pour célébrer un miracle, l'intervention, par l'entremise de l'antenne téléphonique de la marque, du Sacré dans leur quotidien. Ainsi c'est la transcendance elle-même qui a été… privatisée... A bien des égards, plusieurs scènes font penser au jugement divin s'abattant sur les résidents. de l'antenne Phonemark naissent des rayons capables de raser une résidence, telle la foudre tombée du ciel, comme une sorte de jugement immédiat et sans appel. Vous n'êtes pas en règle avec la Loi Phonemarkienne ? Soyez pulvérisés ! On pense au Dieu Marché et à ses dévots dont l'horizon social et même la spiritualité (!) semble se limiter à Phonemark.

Ce sont aussi à l'occasion de ces scènes que le récit dystopique se mêle de fantastique. Un fantastique monstrueux et grotesque qui m'a rappelé Jérôme Noirez dans sa propension à travailler les corps, à les découper, à les recomposer en d'improbables créatures (les monstrueuses créations du Dieu Nouveau ?). Idem d'ailleurs pour l'ambiance pessimiste et désenchantée. La monstruosité est ici une banalité. Chaque chapitre en regorge et les créatures hybrides n'en sont que la plus spectaculaire manifestation (d'ailleurs, cette scène est bien celle d'un spectacle – tarifé, bien entendu) ;

Bref, « Côté cour » est un super roman transfictionnel, dont la charge critique (à mon avis très intéressante) est teintée d'une féerie grotesque et glauque. Dans un genre assez proche, et toujours chez l'Asphalte, on conseillera « L'Employé » de Saccomanno.
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