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Critique de MarcelP


"Accourez tous au jeu d' massacre !
La douzaine de balles pour vingt sous !"

Paru en feuilleton dans "Je suis partout" en 1941 et décrivant la France du Front populaire avec ses grèves et ses manifestations, Travelingue, équivoque et venimeux à souhait, est un pavé glaireux dans une mare de bien-pensance. le lire à la lumière de nos propres ambiguïtés est réjouissant, nous qui élevons des autels à un médecin halluciné, un animateur de télévision obscène, un polémiste raciste et charognard ou à des groupuscules d'abrutis safranés...

Marcel Aymé transforme notre hexagone nombriliste en une République de garçons coiffeurs et rabaisse le discours politique au niveau des brèves de comptoir. Ainsi Moutot, merlan flasque au patronyme ovin prédestiné, est-il devenu l'éminence grise d'un gouvernement Blum dépassé et, piteux Deus ex machina, mène le pays au rythme de ses molles flatuosités.

Roman sans cap, ni boussole, Travelingue -un Pot-Bouille réussi- avance au gré des dézingages d'un auteur particulièrement inspiré. le début, grandiose, nous présente une poignée de protagonistes à travers les filandreuses bribes de conscience d'un pater familias sous le coup d'un AVC mortel. Vif, rageur, nerveux, brutal, réaliste, caméra au poing, c'est du cinéma et du meilleur.

Passer en revue les tristes figurines sur lesquelles Aymé décoche ses balles -pur défoulement- revient à inventorier un ramassis de cloques et de boursouflures. Défilent sur leurs tringles basculantes, un écrivain catholique opportuniste, dont les velléités sont aussi sales que les pieds - Mauriac, que l'on devine sous la défroque du mielleux Pontdebois, en prend pour son grade- ; Johnny, un vieux sodomite flétri ("Riche, notoirement homosexuel, il passait de surcroît, pour être muni d'un anus artificiel, et ce détail curieux faisait rechercher sa société.") et Milou son giton autant bique que bouc, crétin érigé "homme du moment" ; Malinier, un ancien combattant, cocu satisfait et complotiste givré ; la famille Ancelot avec son faisan de père, sa tribu de gourdes prétentieuses et vicieuses -entre Cathos, Magdelon, Emma Bovary et Sidonie Verdurin- et son fils aboulique ; et la famille Lasquin, cerise sur le gâté, avec sa veuve exemplaire, sa fille insatisfaite et son gendre cornard et coureur (à pieds !). Nul ne résiste à l'éreintement du romancier... si ce n'est un couple illégitime (Chauvieux et Élisabeth Malinier), figures sensibles et désintéressées.

Rien de "cornichon, cucul la rainette, ratapoil et rantanplan" dans cet épatant minestrone méchamment hilarant : Marcel Aymé y vilipende une France moisie mais sans aigreur. le chamboule-tout reste un jeu -réac, certes- mais un jeu ; une fois les boîtes renversées, les poupées à bascule abattues, tout recommencera... D'où, malgré une ambiance vintage, une fraîcheur enthousiasmante.

Inutile de dire combien j'ai Aymé !

"Alors, cette fois, ça y est bien, dit-il d'une voix âpre. C'est bien ce que j'ai dit et répété. La France fout le camp comme un lavement. Quoi ? ce n'est pas vrai, peut-être ?"
Lien : http://lavieerrante.over-blo..
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