AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Eric75


Eric75
19 décembre 2015
Un futur proche. Bien proche… La pollution, le réchauffement climatique, les pandémies et, comme si tout cela ne suffisait pas, les guerres et le pillage des ressources, ont peu à peu détruit notre planète et cantonnent l'humanité dans de grandes métropoles urbaines situées au bord des océans et menacées par la montée des eaux, les pénuries et les famines. Bienvenus dans le monde de demain. Prochain arrêt : Bangkok.

Dès la première page, l'immersion est totale et suffocante. Pas le temps de tester la température du coude, de parcourir son Berlitz pour connaître les traditions locales ou pour s'approprier les trois pages de vocabulaire nécessaire. Paolo Bacigalupi impose à son lecteur un saut sans bouée depuis le grand plongeoir, une méthode comme une autre pour apprendre à nager dans le marigot putride et étouffant de notre futur. C'est une méthode un peu brutale mais efficace. le lecteur patauge au début, ne comprend pas tout ce qui se dit ou se trame, mais finit par apprendre au fil des pages ces mots thaïs et/ou futuristes qui lui permettront de poursuivre : ngaw, khap, wai, khun, jok, mahout, yang guizi, farang…De la même façon, la toile de fond géopolitique sort du flou et les desseins des personnages, bien mystérieux au départ, se précisent peu à peu…

Nous évoluons dans une mégapole grouillante peuplée de communautés hétéroclites, où l'on croise en chemin des lézards mutants jingjok2 et des cheshires (chats domestiques zombies génétiquement modifiés retournés à l'état sauvage, directement issus de l'univers de Lewis Carroll), où les déplacements urbains se font en rickshaw, les transports intercontinentaux en dirigeable, où les piles à ressort ont remplacé l'électricité et le pétrole devenu introuvable, et où la société civile est au bord du chaos et de l'insurrection.

Dans ce monde hostile, le lecteur accompagne les principaux protagonistes du récit dans leur lutte pour la survie, se familiarise avec les combats des factions gouvernementales fratricides opposant le ministère de l'Environnement et le ministère du Commerce, aux objectifs si parfaitement et si clairement irréconciliables et découvre les manigances postcoloniales et hégémoniques des firmes occidentales.

Nous faisons la connaissance d'Anderson Lake, ce « farang » si malin et si intelligent, petit industriel dirigeant une usine agrochimique puisant ses ressources énergétiques dans la force musculaire des mastodontes, sorte de mammouths du futur 100% garantis pur OGM. On se rend vite compte qu'Anderson avance masqué et poursuit des objectifs peu avouables en lien avec les ambitions des grandes multinationales agroindustrielles, appelées AgriGen, PurCal, RedStar, Springlife ou Total Nutrient Holding dans le roman, dignes successeurs de l'actuelle Monsanto.

Nous sympathisons avec Hock Seng, ce vieux « yellow card » chinois qui doit faire preuve de créativité pour tirer son épingle du jeu, aidé en cela par son expérience des conflits passés lui permettant de louvoyer dans une jungle urbaine au bord de la guerre civile, et qui n'hésite pas à faire allégeance simultanément à ses maîtres farangs et à la maffia locale, dirigée par l'effrayant Sukrit Kamsing dit « l'Enculeur de chiens ».

Nous accompagnons dans leur combat quotidien le fier capitaine Jaidee Rojjanasukachai (dit le « Tigre de Bangkok ») et sa lieutenante Kanya, les deux « chemises blanches » qui, au service du général Pracha, tentent de faire respecter les normes sanitaires et douanières mises en place par le ministère de l'Environnement, ce qui bien entendu n'est pas du goût d'Akkarat, le sinistre et puissant ministre du Commerce prêt à ourdir tous les complots pour contourner ces empêcheurs de commercer en rond.

Enfin, nous rencontrons cette fille automate, abandonnée par son propriétaire dans un bouge de Bangkok, Emiko, une « nouvelle personne » aux étranges pouvoirs dont l'unique objectif désormais est de retrouver ses semblables depuis qu'elle a appris qu'elle n'était pas un modèle unique fabriquée par une firme japonaise commercialisant des sextoys sophistiqués. Devant la beauté plastique d'Emiko, personne ne peut rester de glace…

Attention, Emiko est susceptible de surchauffe en raison de ses circuits fragiles, et il ne faut pas l'énerver. Or, dans la situation explosive et pré-insurrectionnelle que connaît Bangkok actuellement, cette bombe siliconée pourrait bien mettre le feu aux poudres…

Amis lecteurs, ne soyez pas rebutés par la dureté du monde que décrit Paolo Bacigalupi. Car ce monde est notre monde de demain. Comme chacun sait, Monsanto veille aux graines.

Pendant cette lecture, pour vous mettre dans l'ambiance, réécoutez comme moi la musique du film In the Mood for Love, et celle de One night in Bangkok. Après la lecture, vous pouvez au choix reprendre votre Berlitz et apprendre à lire le thaï ou plus simplement répéter, pour le mémoriser comme un mantra, ce nom : « Paolo Bacigalupi ». Un nom certes bien difficile à retenir, mais dont il faudra désormais se souvenir.

Bonus :
https://www.youtube.com/watch?v=fIgU9aNpb9k
Commenter  J’apprécie          623



Ont apprécié cette critique (55)voir plus




{* *}