Citations sur Les Saigneurs de la Guerre : Brève histoire de la guerr.. (5)
On peut aujourd'hui, dans la plupart des pays à régime libéral, se dire athée, homosexuel, fasciste, nudiste, alchimiste ou anarchiste sans risquer la prison ou le passage à tabac. Par contre, il est encore une idole que nul ne saurait mettre en question sans être accusé de sacrilège, c'est celle de la patrie.
L'amour qu'elle fait naître est exclusif, aveugle, fanatique. Il prime tout. Il n'a besoin ni de raisonnement ni de volonté c'est une foi, une passion dévorante. Comparé à cette flamme " tout le reste, religion, engagement politique, milieu social, profession, fortune, apparaît comme secondaire". En fait, dans nos sociétés modernes, la patrie est devenue la véritable divinité: le vœu de Jules Lemaître s'est réalisé, qui disait : "Nous voulons faire de l'amour de la patrie une sorte de religion."
La guerre est finalement, pour l'élimination des surplus démographiques, la seule solution acceptable, tant par la souplesse de son utilisation et sa haute productivité que par l'adhésion unanime qu'elle suscite, surtout chez les individus dotés d'une grande rigueur morale. Ainsi les mêmes gens qui frissonnent d'horreur devant le massacre des nouveau-nés, le travail des jeunes enfants et les mauvais traitements qu'on leur inflige admettent comme parfaitement naturel que, lorsqu'ils ont atteint l'âge de vingt ans, ces mêmes adolescents soient rassemblés dans un lieu approprié et tués en série. Ceci est d'autant plus remarquable que, du point de vue de la rentabilité, il est bien meilleur marché d'occire un mouflet qui n'a coûté que neuf mois de gestation qu'un jeune homme qu'il a fallu, pendant 240 mois, nourrir, habiller, instruire et entourer de soins vigilants pour en faire un mort présentable. Mais c'est ainsi. La guerre jouit toujours d'un singulier prestige.
Certains commentateurs font remarquer, non sans malice, que ce sont les plus farouches partisans de la souveraineté nationale qui sont souvent les plus prompts à réduire la liberté des citoyens.
Comment peut-on d'ailleurs espérer rassembler, en un tout homogène, les États qui se répartissent la surface de la terre? Il existe entre eux trop de différences de race, de religion, de langue, de culture. A part le fait - négligeable - qu'ils sont composés d'êtres humains, ils n'ont vraiment rien en commun.
Mais les chimères ont la vie dure. Ainsi, celle du grand rassemblement des États en une vaste «cité planétaire », sous un gouvernement mondial unique. Elle renaît de temps à autre sous la plume de marginaux ou de fantaisistes comme le docteur Hutchins, chancelier de l'université de Chicago, le philosophe anglais Bertrand Russell ou le Pandit Nehru. Heureusement pour nous, ces quelques voix isolées n'ont aucune audience. L'écrasante majorité des hommes pense tout autrement. Et nous sommes avec eux, car il n'est pas possible que le monde se trompe, que soient dans l'erreur nos guides, les hauts personnages qui éclairent notre route, nos respectables chefs, chefs de tout poil, chefs de gouvernement, chefs d'état-major, chefs de parti, chefs syndicalistes, chefs de rubrique, chefs de bureau, qui sur les ondes, dans la presse, dans les conversations, dans les réunions diplomatiques défendent avec un ensemble impressionnant le principe qui sape à la base tout projet de coopération efficace entre les peuples : celui de la souveraineté nationale.
La patrie, c'est ce miracle qui fait qu'un pianiste américain a des liens plus étroits avec un docker de New York ou un balayeur de Chicago qu'avec un pianiste anglais ou viennois, et qu'un grand banquier de Paris se sent infiniment plus proche d'un mécano de Billancourt que d'un grand banquier de Rome ou de Madrid.