Nancy : Tu dis que tu n'aimes pas Kant. Je comprends, Kant n'est pas très aimable, il n'est pas très agréable. Et aussi d'ailleurs, parce qu'il n'écrit pas encore vraiment allemand. Il écrit avec ce qu'on a appelé la langue de la chancellerie. Il adore un vieux latin, ranci, du Moyen-âge, il aime cette langue scolastique.
Badiou : La philosophie a commencer parce que les mathématiques ont commencé.
Nancy : Pourquoi les mathématiques ont commencé ?
Badiou : Ca, je ne peux pas te le dire.
Badiou : De fait, il y a trois espèces de philosophes : les hystériques, les obsessionnels et les paranoïaques.
Badiou : En vérité, je n'aime pas Kant [...] C'est le philosophe obessionnel par excellence.
Badiou : je pense que la philosophie existe de manière discontinue. Il y a, je crois, des moments philosophiques. L'idée d'une continuité, d'une tradition, est quand même une idée académique. Quant à l'idée qu'il y a de la philosophie partout et toujours, que l'homme est un animal philosophant, c'est une invention du journalisme contemporain. Il y a des moments philosophiques, discontinues et on peut les repérer dans l'Histoire.
Nancy : Kant comme pas vraiment allemand, oui, il est prussien d'abord. Prussien et Allemand, ça fait deux, quelle que soit l'importance de la Prusse évidemment dans l'engendrement de l'Allemagne.
Badiou : Mais toutes ces obsessions dans la bie quotidienne sont insupportables. Imaginez ce que ça devait être de vivre avec Kant.
Nancy: Personne n'a vécu avec lui, sauf son valet !
Et la liberté de Kant n'est pas simplement la liberté du libre-arbitre classique, c'est la liberté, comme il dit, de commencer une nouvelle série de phénomènes. Une liberté qui engage aussi l'histoire.