Il avait fait de son mieux pour lui faire comprendre son attirance. Et elle avait choisi de se coucher en compagnie d'un livre plutôt qu'avec lui.
Il pensait souvent que c’était là une drôle de façon pour un prisonnier de se divertir. Et pourtant, il aimait bien les énigmes et les enquêtes de ces romans. Il essayait de les résoudre avant d’arriver au dénouement et avait découvert qu’avec le temps, il tombait de plus en plus souvent sur la bonne solution avant la fin.
Il sortit une liasse de billets plus grosse que n’importe quel poing qu’Archer eût pu balancer au visage d’un codétenu ou recevoir en prison.
L’homme amincit le paquet de cinq billets de vingt et les étala sur le comptoir, juste à portée de main.
Immobile, Archer ne fit même pas mine de les ramasser.
« Eh bien ? demanda l’homme.
— Quand quelqu’un sort de l’argent comme ça, c’est que quelque chose est attendu en retour. J’attends juste les détails. »
Le type s’esclaffa à nouveau et frappa Archer sur l’épaule un peu plus fort que nécessaire. Il fit immédiatement une grimace et secoua la main.
« Bon sang, vous êtes fait en pierre ou quoi, soldat ?
— Ou quoi, répondit Archer.
Vous voyez, se lança l’homme d’une voix monotone, ici un homme peut faire de l’argent s’il est prêt à travailler. Maintenant que la guerre est finie, il y a des gagnants et il y a des perdants. Mon but est de m’assurer que Poca City se retrouve du côté des gagnants. J’étais déjà là avant la guerre, à essayer de faire tourner la machine. C’était un trou paumé à l’époque. Et maintenant, le pays est en train de se relever, et bon sang, on en est même à remettre des briques et des fenêtres neuves dans toute l’Europe, aussi. On a mis en place ce satané pont aérien au-dessus de Berlin pour nourrir tous ces gens. Les rouges sont en train de prendre le pouvoir en Chine. Il y a ce Staline qui a la moitié de l’Europe sous sa coupe et qui teste ces satanées bombes nucléaires. Truman nous dit que tout le monde va en profiter, mais je ne prendrais personne au mot là-dessus, président ou pas. La populace se remet en route vers l’ouest à la recherche d’une nouvelle vie, d’une nouvelle situation. Et à Poca, on est un peu au carrefour de tout ça. Entre l’ancienne Amérique où la plupart des gens habitent encore et la nouvelle Amérique à l’ouest. Les gens passent par ici. Certains d’entre eux restent. La plupart continuent leur chemin parce qu’on ne peut pas rivaliser avec des villes comme Los Angeles, Frisco et ce paradis des parieurs, Las Vegas. Mais les opportunités, ce n’est pas ce qui manque par ici.
[...] — T’as mis le doigt dans le mille, Archer. J’aime ça. Tu pourrais devenir enquêteur, toi aussi, avec un peu d’entraînement.
[...] — Tu joues au détective privé, c’est ça ? l’interrogea-t-elle, perplexe.
— Quand tu risques de finir la corde au cou, ça n’a rien d’un jeu.
[...] — Ça me paraît bien mal engagé, à l’heure actuelle.
— Bon sang, mon petit gars, c’est toujours le cas.
[...] Archer sortit de la maison impeccablement rangée, mit son chapeau et se demanda, après tout ce qu’il venait d’entendre, dans quelle histoire il venait de s’embarquer.
[...] Il était sûr d’une chose : sa vie n’allait pas tarder à devenir encore plus compliquée.
[...] Si quelqu’un lui avait dit qu’une ville comme Poca City abritait non pas une mais deux femmes aussi séduisantes, il aurait dit de lui que c’était un menteur ou qu’il louchait au point d’être aveugle.