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Critique de Tancrede_de_Hauteville


Le colonel Chabert, ou la descente aux enfers d'un homme qui, alors qu'il parvient à regagner les berges du Styx, et qu'il pourrait saisir la main amicale qu'un samaritain lui tend, fait le choix de la misère et du naufrage, se laissant dériver jusqu'au néant social.

Le colonel, un homme brisé par la vie qui lui a par le passé apporté la gloire et le bonheur, reste animé au début du livre par une dernière fibre d'espoir et d'énergie, qui l'amène maladroitement auprès de la bonne personne : Derville, un homme de loi, animé par son intérêt propre, mais aussi par le respect des institutions, et une bienséance morale et bourgeoise qui l'amèneront à prendre pitié de ce malandrin qui a tant servi le pays.

Face à cette figure rationnelle, qui sait présenter au vieux colonel abîmé par les événements ses intérêts et la stratégie pour les atteindre, s'érige la comtesse Ferraud. Celle-ci, comme tant d'autres personnages du Naturalisme du XIXème, a gravi les échelons grâce à la séduction et à un usage impitoyable de celle-ci en vue d'obtenir et préserver ses intérêts.

Contraire de la figure froide et bienveillante de maître Derville, elle est la Passion incarnée, celle qui sait aller réveiller au fin fond du colonel les sentiments les moins raisonnables, et s'en servir comme des liens inoxydables pour ligoter le colonel et ainsi s'en débarrasser à jamais.

Et si finalement, le colonel était un personnage tout romantique ?
Chevalier de l'épopée impériale, dernière geste des héros au coeur vaillant, il avait épousé une jeune femme par amour, par-delà la condition de cette dernière, par-delà le qu'en-dira-t-on, par-delà ses intérêts de long terme. Sa première mort, celle de laquelle il ressuscite, l'a transporté dans un monde nouveau, qu'il ne reconnait plus. Ce nouveau monde, où intrigues factieuses, bureaucratie, tromperies et intérêt individuel priment, n'est pas le sien. le romantisme est mort, et avec lui, Chabert.
Aussi, la comtesse, de prime abord responsable de la nouvelle défaite du colonel, n'est en réalité qu'un moyen, un moyen par lequel cette nouvelle époque se débarrasse d'un personnage qui n'a rien à y faire. Et celui-ci accepte son destin sans guère protester - malgré tous les efforts de Derville - car, dans le fond, il connait cette triste vérité, et s'y plie.

Le colonel Chabert, c'est aussi, comme bien souvent avec les romans De Balzac et de ses congénères, une belle reconstitution du Paris du XIXème, quand la misère absolue fréquente le faste le plus étalé, et quand les hommes de droit doivent régler des problématiques d'époque : les tribulations issues des changements de régimes, et les querelles de fortunes des uns et des autres (noblesse d'Empire, noblesse ancienne, noblesse nouvelle etc).

Je reprocherais à ce livre d'être finalement bien court, et de ne présenter qu'un nombre très limité de péripéties et de personnages. J'aurais apprécié que le personnage de la comtesse soit plus développé, notamment sur sa relation avec Chabert : on aurait pu faire durer le suspens, ce qui n'est pas le cas ici. Dès leur premier entretien seule à seul, elle l'envoûte aussitôt.

Doit-on finalement plaindre ce pauvre colonel ? Sans doute, oui, sur un point.
Celui de ne pas être mort en héros, la première fois. Chabert incarne l'Empire, il est l'Empire. Sa mort sur le champ de bataille, c'était l'évidence, et il n'est pas parvenu à l'atteindre. Jamais il n'aurait pu revenir dans le Monde, car celui-ci n'était plus le sien. Alors, de héros, il passe à vaurien, que Derville n'aurait pu sauver. Derville est le chevalier des temps modernes, celui d'une époque faite de droit, d'argent et de conciliabules. Il a vu en Chabert un lointain aïeul, dont les outils étaient autres, et a tenté de l'aider... en vain.
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