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Critique de glegat


On pose souvent cette question du livre unique que l'on choisirait d'emporter sur une île déserte. C'est une question difficile, mais tentons d'y répondre. Pour ce qui me concerne, mon choix pourrait se porter sur le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle publié entre 1866 et 1876 par Pierre Larousse. Ce monumental dictionnaire compte 17 volumes soit 24 000 pages de très grand format dans une police de caractère minuscule et pratiquement sans illustration. Cela correspond à environ 900 livres de 300 pages au format standard ! Je suis content de mon astuce pour avoir de la lecture pendant au moins une décennie sur mon île déserte ! À condition que l'on considère que cet ensemble ne forme qu'un livre. Mais en fait j'hésite entre ce Grand dictionnaire qui contient tout le savoir du XIXe siècle et la Comédie humaine De Balzac. Mais, me direz-vous, la comédie humaine est constituée de plusieurs livres (89 titres) et l'on n'a droit qu'à un seul. Rien n'est moins sûr, si l'on se rappelle le grand discours de Victor Hugo sur la tombe De Balzac :

« Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l'on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; livre merveilleux que le poète a intitulé comédie et qu'il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et qui va jusqu'à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu'à Rabelais ; livre qui est l'observation et qui est l'imagination ; qui prodigue le vrai, l'intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moment, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal. »

Alors j'opterais finalement pour la Comédie humaine qui est l'équivalent sous forme de roman du Grand dictionnaire de Pierre Larousse.

C'est sur cette île que je m'évade lorsque je lis Balzac.

Écrit en 1839, publié en janvier 1840 et dédié à Mademoiselle Anna de Hanska lors âgée de 12 ans (la fille de la future femme De Balzac), Pierrette est un roman psychologique sur la vie en province, la bourgeoisie locale et le célibat.

« Pierrette » et « Le curé de Tours » ont été réunis par Balzac sous le titre « Les célibataires » et groupés avec « Eugénie Grandet », « Ursule Mirouet » et « la Rabouilleuse » dans le premier tome de ses « Scènes de la vie de province ».

J'ai lu ce court roman dans l'édition d'Albert Béguin datée de 1966. Une série en 16 volumes reliés plein cuir sur papier bible. Une remarquable édition qui vaut largement la collection pléiade proposée par Gallimard en 12 volumes et qui est hors de prix (70 euros le volume tandis que j'ai payé mes 16 volumes 30 euros sur un vide-grenier !).

Revenons à notre histoire.

La petite orpheline Pierrette est âgée de 14 ans au moment où commence l'action. Sylvie Rogron et son frère Jérôme (anciens commerçants) tentent de se faire admettre dans la société bourgeoise de Provins. Ils sont rejetés à cause de leur médiocrité et de leur mentalité de boutiquier. Un an après leur arrivée, ils tombent dans une vie solitaire et sans occupation. Par désoeuvrement ils décident de prendre à leur charge leur cousine Pierrette en répondant au courrier que leur avaient adressé les grands-parents de Pierrette. Celle-ci reçoit un accueil sans chaleur de la part des deux célibataires qui par des agissements méprisables l'ont spolié de son héritage. Certes Pierrette quitte la misère ou elle vivait, mais elle perd l'affection de ses grands-parents et s'éloigne de son ami Jacques Brigaut. Son calvaire commence. C'est l'histoire d'une opposition entre le coeur tendre et noble de Pierrette et la méchanceté imbécile de deux êtres qui font de leur cousine leur souffre-douleur. Dès les premiers jours, Pierrette est blessée par les observations méchantes de sa cousine qui lui reproche de faire trop de bruit, de se lever trop tôt ou de salir le parquet avec ses souliers crottés. Peu appréciée chez ses cousins, Pierrette fait l'objet de l'attention de toutes les Dames de Provins et est bientôt invitée partout entraînant la jalousie des ses parents adoptifs. Ceux-ci lui interdise de sortir et pour l'occuper charge Pierrette de s'occuper du ménage à la place d'Adèle leur domestique qu'il renvoie. Dès lors Pierrette va subir des brimades et des injustices provoquées par la méchanceté gratuite de ces deux horribles cousins. Elle subira de nombreux sévices atténués par le soutien de son ami Jacques Brigaut et de sa grand-mère. Au final un procès aura lieu, mais je n'en dévoile pas plus.

Ce tableau fait penser au personnage de Cosette, il est même probable que Victor Hugo pensa à Pierrette pour composer son personnage des misérables.

Comme d'habitude Balzac nous dépeint un microcosme avec génie. Balzac nous décrit aussi le combat entre deux clans politiques dans la petite ville de Provins entre les « libéraux » et les « légitimistes » à la veille de la révolution de 1830. Ses descriptions que beaucoup appréhendent, ses explications sur la généalogie des personnages qui endorment certains, sont cependant un véritable régal pour les inconditionnels Balzaciens. Ces croquis instantanés font mouche : « Y a-t-il rien de plus horrible à voir que la matinale apparition d'une vieille fille laide à sa fenêtre ? ». Il signe là sans doute l'une de ces oeuvres les plus abouties. Il faut dire qu'il est dans sa pleine maturité créatrice.

Balzac aime explorer à fond tous les détails d'un thème tous les aspects d'un caractère toutes les variantes possibles d'une histoire, s'il n'était écrivain il serait joueur d'échecs ou musicien à la manière d'Érick Satie.

Voilà un livre qui relance encore mon intérêt pour l'oeuvre De Balzac. À la cadence de deux ou trois livres par an (avec parfois des relectures) je n'ai pas encore terminé la comédie humaine, il me reste peut-être encore une vingtaine de romans à lire, j'ai bien l'intention d'aller jusqu'au bout et de compter un jour parmi les lecteurs qui ont lu et commenté tout Balzac (y compris sa correspondance, ses oeuvres de jeunesse et son théâtre).

— « Pierrette » Tome 6 de l'oeuvre De Balzac, le club français du livre (1966)
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