Quand son frère avait disparu à l'âge de 14 ans, Marion en avait 7. Elle aurait dû se rappeler son sourire, ses yeux, sa voix. Mais non, rien. Elle ne pouvait pas colmater cette lacune-là. Elle s'était contentée de ce que lui racontait sa mère, sans chercher à restaurer elle-même l'image de son frère. Ce désir ne lui était pas venu, jusqu'à l'effet étrange que le tableau avait produit sur elle . L'effet révélateur.
Cette île de malheur lui avait pris son fils. La colonie de vacances s'était changée en piège mortel.
"On ne tire rien de bon de ces îliens", disait Edith. En repensant aux paroles de sa mère, Marion n'arrivait pas à décider si elle lui en voulait de l'avoir conditionnée à penser le pire des habitants de Batz ou si c'était l'atmosphère dans la pièce, réellement effrayante, qui semblait crédibiliser ses dires. Elle choisit de maudire intérieurement ce Marcel qui lui avait joué un tour en l'envoyant chez les dingues de l'île.
Ils étaient arrivés à bon port. A présent, ils savait tout de leurs traumatismes familiaux, ces brisants contre lesquels, faute de les connaître, on ne peut que se fracasser.
La toute-puissance d’une mère n’est jamais aussi efficace que quand elle se montre vulnérable.
On a toujours quelque chose qu’on ne voudrait pas qu’on nous prenne.
Sur cette île ni proche ni lointaine, ni exotique ni ordinaire.
On ne peut rien contre la lumière des morts, elle aveugle.