- De quelles contradictions parles-tu ?
Le Sioux sourit mollement et expliqua d'un ton las :
- Y'en a tellement, on a que l'embarras du choix...
Tiens, un exemple. En janvier dernier, le président Wilson a dit que les Etats-Unis combattaient en France, tiens-toi bien, "pour défendre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes". Ca le gène pas le moins du monde d'affirmer ça alors que vous, les américains, vous venez tout juste de tuer des centaines de milliers d'indiens qui avaient justement envie de disposer d'eux-mêmes. Faire du cynisme un principe de gouvernance, j'avoue que c'est pas donné à tout le monde.
- Chez moi, dans le fatras d'objet indiens que mon père m'a laissé en héritage, j'ai deux pièces rares, deux blagues à tabac qui ont appartenu à des officiers ayant servi au Dakota. Elles sont en peau de seins de squaws.
Du tac au tac, Dull avait répondu :
- Mon général, si ces blagues sont faites en peau de squaw, comme c'était en effet la coutume jusqu'à la fin de l'autre siècle, j'apprécierai de les voir et surtout de les toucher. Qui sait ? Ce sont peut-être les seins de ma mère.
De l’autre côté de la frontière, entre la White River et le Wounded Knee Creek, dans une misérable cabane de planches au toit tendu de toile goudronnée, serrés l’un contre l’autre pour mieux se réchauffer l’âme, deux vieux, victimes et mémoires moribondes du processus d’extermination de leur peuple, souffraient en silence, chacun emmuré dans son chagrin pour ne pas effrayer l’autre. Comment pouvaient-ils à la fois être amptutés d’un morceau du coeur et l’avoir si gros ? Dull, qui s’en voulait de tant représenter pour eux, les imaginait traînant leurs jours, indifférents, laissant leur vie s’en aller comme le sang d’une plaie ouverte.