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Critique de Isidoreinthedark


Le crépuscule, la moiteur d'un été sans fin, une légère brise agite les tilleuls pleureurs, l'écureuil qui a fait son nid dans notre jardin vole de noisetiers en érables rouges, de frênes en noyers. J'appelle mon jeune fils cadet pour une promenade dans la forêt qui se niche dans la vallée, non loin de notre longère centenaire.

Nous descendons le sentier qui mène à un petit étang dissimulé au creux de la forêt giboyeuse que nous tentons de rejoindre avant que l'astre d'or ne disparaisse à l'horizon. Deux chevaux blancs crème paissent paisibles dans la prairie ombragée, qui abritait autrefois le lit d'une rivière enfuie. Nous progressons tel deux pisteurs à l'affût, un couple de martres traverse le chemin sous nos yeux ébaubis, un milan noir en quête d'une proie pour le dîner dessine des cercles concentriques dans le ciel bleu nuit.

Nous approchons de la clôture qui proscrit l'entrée à la forêt que les chasseurs du coin ont soigneusement réservée à leur usage, peu importe, nous enjambons aussitôt la barrière soi-disant électrifiée et pénétrons dans la pénombre interdite. Après tout, mon fils a emporté son arc en érable ainsi que quelques flèches, ce qui fait de nous des chasseurs d'un autre temps, le temps où les indiens Lakota parcouraient fièrement les plaines de l'ouest américain.

L'endroit n'est pas entretenu et nous devons nous frayer un chemin entre les arbres morts écroulés, les fils de fer barbelé délimitant une frontière paranoïaque, tandis qu'ici et là des bouteilles de bière portent une timide atteinte à la beauté du lieu. La forêt est un curieux mélange d'hêtres immenses, de chênes majestueux dont certains ont plusieurs siècles, de bouleaux faméliques, et de pins maladifs plantés en dépit du bon sens au coeur d'une hêtraie qui semble dater du moyen-âge.

L'envol du héron bleu qui veille sans discontinuer sur ce lieu encore sauvage indique que l'étang est tout proche. Les animaux épuisés par la canicule qui sévit depuis plusieurs semaines viennent s'y désaltérer à la nuit tombée et qui sait, peut-être aurons-nous la chance d'apercevoir une biche, un chevreuil, ou un sanglier. le vent est tombé, le jour est sur le point de faire place à la nuit. Enveloppés dans une chaleur étouffante, nous constatons avec une pointe de déception que l'endroit est désert.

Fatigués par le périple qui conduit jusqu'à l'étang où nagent dans une eau presque brune de gros poissons à la queue noire que je ne parviens pas identifier, nous nous asseyons à l'ombre d'un aulnes pleureur pour reprendre notre souffle. Et soudain, un craquement, puis un autre en provenance du coeur noir de la forêt. Un énorme sanglier au pelage anthracite apparaît sous nos yeux médusés, bientôt suivi de ses deux compères à la fois plus petits et moins sombres qui viennent boire l'eau trouble de l'étang. Nous nous levons sans faire un bruit pour mieux apercevoir ces animaux assommés par la chaleur, qui semblent ne pas nous avoir remarqués. Absence de vent, pénombre, silence du crépuscule. le mystère de l'apparition de ces animaux d'un autre âge est intact et nous sentons battre dans nos poitrines le coeur sauvage de la forêt. le mâle dominant au pelage presque ébène se tourne dans notre direction et s'approche doucement. Il est à présent à quelques mètres et je serre la main de mon enfant, conscient de la magie de l'instant. Mon coeur tombe comme une pierre dans un puits sans fonds tandis que mon petit chasseur murmure à mon oreille son émotion devant l'irruption d'une vie indomptée.

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Ce court texte autobiographique est un modeste hommage au « Livre de Yaak » de Rick Bass, qui conte avec un talent invraisemblable sa découverte de la vallée du Yaak, au nord du Montana, à travers plusieurs textes d'une beauté saisissante. L'auteur y décrit son coup de foudre pour la forêt primaire et les innombrables animaux qui se nichent au coeur de la vallée. Il nous fait part de sa crainte qu'un jour toute cette beauté ne disparaisse, et nous fait partager son combat pour sauvegarder ce qui peut l'être, en stoppant enfin notre quête insatiable d'un profit mortifère.
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