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Critique de Biblioroz


Le livre s'ouvre sur une belle marche en forêt, hors des sentiers balisés. Un massif où des taillis succèdent aux marécages cernés de ronciers. Les jumelles en bandoulière, Claire et son père observent un grimpereau. À Claire, Monsieur Godion, notre narrateur, a donné le goût des longues randonnées dans les bois jouxtant leur campagne. Ils sont des observateurs uniquement préoccupés à capter de leurs yeux toutes les espèces de faune et de flore, la parole rare pour ne rien perdre de cette vie forestière.
Des notes portées par un filet d'air arrivent jusqu'à eux, une flûte qui joue quelques mélodies.
Au bout de leurs jumelles, un homme nu (ses habits sèchent), cheveux, barbe et poils de toute blondeur. Il semble vivre là, sur un petit bout de terre de l'étang de la Marouille.
Quelques jours après, la chasse est ouverte et le « farfelu qui prolonge ses vacances en jouant les Adam, sans Eve, dans la nature » est blessé à la jambe par une erreur de trajectoire de balle. Transporté à l'hôpital, il refusera farouchement de se nommer.

Insolite dans ce village où tout le monde connaît le nom de tout le monde, cet homme sans nom inspire une grande méfiance, la crainte d'un maraudeur qui risque de piller les possessions des uns et des autres.
Et dans notre société, un inconnu ne peut demeurer un inconnu.
Alors tout le monde y va de son interprétation. Vouloir, avec une telle obstination, garder son anonymat est-ce de la provocation, un amusement, un grain de folie, une amnésie, une vocation d'ermite ou bien plus vraisemblablement une fuite pour échapper aux sanctions de terribles méfaits ? L'amnésie sera une hypothèse vite balayée car avec une économie de mots bien contrôlée le blessé y répondra « Je me souviens trop bien de tout. »
Reste que ce cas est bien embarrassant. Que faire d'un homme sans état civil ?
A travers M. Godion, Hervé Bazin nous fera part ironiquement de son étonnement face à « la férocité du Code envers les démunis » alors qu'une simple caution « fournit l'absolution ! »


Piqué d'humour, parfois délicieusement ironique, ce roman est un écrin d'où émane l'amour de l'écrivain pour cette nature à prendre telle qu'elle nous est offerte. On retiendra son souffle devant l'envol d'une bécassine ou plus rarement celui d'une marouette qui surgira d'une haie de joncs. Se faisant d'une butte recouverte de genévrier un mirador, on guettera le cerf. On s'attendrira devant Claire qui repère les différents pièges et annule leurs méfaits sur la faune évitant ainsi quelques innocentes futures victimes. C'est aussi un cri contre la chasse où la faune devient gibier, la chasse pour la gloriole, uniquement faite pour aligner ses trophées.
J'ai pris énormément d'intérêt et de plaisir à déambuler dans la forêt, le verger, le potager et l'atelier de reliure de Claire. Avec le vocabulaire bien étoffé de l'auteur (qui a nécessité plusieurs recherches de définitions !) l'atmosphère de chacun de ces lieux explose au travers de cette si merveilleuse érudition.
Très peu de phrases concernent le mépris des hommes pour cette nature, les souillures qu'ils laissent sur leurs passages, les yeux qui demeurent clos devant ces beautés gratuites, mais elles ne sont que plus frappantes. Que dirait Hervé Bazin du saccage toujours plus avancé de la nature actuelle ? de tous ces sites hautement touristiques qui sont devenus des poubelles à ciel ouvert ? Je me le demande…
Bien sûr, la réflexion principale est celle sur le renoncement à son identité. Est-ce un refus d'appartenance à l'espèce ou juste un rejet de la société telle qu'elle est aujourd'hui ? Peut-il exister un droit à disparaître ?
L'homme qui désire taire son nom et vivre en marge est inévitablement soupçonné de malhonnêteté. « Plaquer la société ça marque mal, c'est un impardonnable désaveu : ne vous étonnez pas qu'elle vous cherche des noises…»
On demeure dans le déni de la situation inverse où la société, loin d'être innocente de tous méfaits, devrait être elle-même sur le banc des accusés…

Et puis, j'ai été véritablement charmée par l'écriture d'Hervé Bazin. Au-delà de l'extrême richesse du vocabulaire j'y ai trouvé une syntaxe élaborée que l'on ne rencontre plus dans les écrits contemporains. Dommage car bon nombre de ses romans ne sont plus édités et heureusement que les trouvailles d'occasion continuent à faire circuler cette si jolie plume.
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