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Critique de Alfaric


Merci Masse Critique, merci Babelio, merci Belin ! le sujet de l'essai est très intéressant, à savoir comment la soif de connaissances de la Renaissance mise entre parenthèses par les guerres de religions renaît de ses cendres dans la deuxième modernité à partir de la méthode scientifique de Descartes. Cette soif de connaissances conduit à un nouvel élargissement du monde mais aussi à son appropriation symbolique, cartographique, topographique, territoriale, économique, culturelle, religieuse, bref coloniale (avec l'impérialisme et le suprématisme qui vont avec et qui pourrir le monde au XIXe et XXe siècles)… Sauf que c'est fouillis ! Déjà l'auteur bon connaisseurs des Lumières va de Louis XIV à Napoléon III, de la Glorieuse Révolution à la Reine Victoria : les Lumières sont associés au XVIIIe siècle, donc si on va au-delà dans le temps dans les deux sens cela aurait été judicieux de bien le justifier (car au vu du sujet c'est très justifiable). Les notes de bas de page sont rassemblées à la fin de l'essai en 45 pages, mais j'ai eu la désagréable impression que les 260 pages précédentes n'étaient qu'une suite de notes de bas de pages : selon les passages on passe du particulier au général ou du général au particulier, on passe de la cause à l'effet ou de l'effet à la cause, et on passe d'un thème à l'autre dans une succession de récits, d'exemples, et de descriptions qui laissent difficilement deviner la pensée de l'auteur. Heureusement il répète suffisamment ses idées-forces pour qu'on ne passe pas à côté d'elles !


Dans un 1ère partie intitulée « A la source des mondes antiques », on évoque du « Caillou Michaux » (premier texte en cunéiformes découvert par les Européens) pour ensuite décrire le voyage d'André Michaux, avant d'évoquer les conditions des voyages vers l'Orient qu'on qualifie désormais d'Ancien.
On s'attarde sur le Grand Tour qui va de plus en plus loin (et qui n'est pas définit, heureusement que je savais ce que c'était, à savoir un voyage aux sources des humanités réalisé durant plusieurs années dans les milieux les plus fortunés et les plus cultivés), pour évoquer le rôle des consuls de plus en plus nombreux avec l'essor du commerce. Ils aident les voyageurs, les explorateurs, les savants et les antiquaires quand ils ne sont pas eux-mêmes voyageurs, explorateurs, savants et antiquaires (des Indiana Jones en dentelles avant d'être en costumes). Car l'Antiquité est à la mode, romaine d'abord, grecque ensuite, égyptienne et mésopotamienne enfin comme l'auteur le monde avec le « souper grec » d'Élisabeth Vigée le Brun, peintre de Marie Antoinette, qui défraya les chroniques en son temps. le sujet devient tellement important qu'il se vulgarise au point d'attirer satires et caricatures, mais d'un autre côté les antiquaires se transforment en archéologues (tandis que les pilleurs et les arnaqueurs se transforment en charlatan et en mystificateurs). Je ne vais pas mentir, cela aurait été nettement plus complet avec l'Italie, Rome, Herculanum, Pompéi, Piranèse père et fils, Caroline Bonaparte et tutti quanti...

Dans une 2e partie intitulée « Le monde est une collection », on part des collection de coquillages très à la mode à la fin du XVIIIe siècle pour la simple raison qu'ils se conservent très bien eux et leurs couleurs au contraire du reste du vivant… L'auteur retrouve ses premières amours est très prolixe et très précis sur les réseaux sociaux pré-industriels, et s'épanche longuement sur la République des Lettres qui devient la République des Savants qui s'échange des courriers accompagnés d'échantillons avant de s'échanger des échantillons accompagnés de lettres : il faut cultiver ses réseaux pour obtenir un maximum d'échantillons et augmenter sa collection, puis cultiver son statut en mettant en valeur sa collection pour la donner à voir à l'autoproclamée haute et bonne société (avant de démocratiser le procédé en créant les musées privés puis public)
Pour avoir une collection encore faut-il collecter, et là on part sur un long passage sur la botanique justifié par le fait que les sciences naturelles rattrapent leurs retards sur les sciences physiques (retard provoqué par les préjugés hautains sinon suprématistes des physiciens ayatollahs des sciences exactes sur les naturalistes perçus comme des fantaisistes, des illuminés voire des charlatans). Mais après tout les voyages dont on profité les botanistes étaient motivés par des observations astronomiques destinés aux physiciens : il fallait bien rejoindre les lieux des éclipses pour préciser et améliorer les sciences exactes (ah ça, on nous rabat les oreilles du voyage de Cook pour observer le transit de Vénus devant le Soleil quelque part dans l'Océan Pacifique). L'auteur retrouve encore sa zone de confort sur les sociabilités des classes aisées en nous décrivant le Réseau Linné, les élèves et les héritiers de celui qui a rejeté Aristote pour révolutionner les sciences naturelles pour les hisser au rang des sciences exactes. Et si on apprend que la région du Cap, qui possède deux fois plus d'espèces florales que la France, est le carrefour des sciences botaniques, l'auteur insiste bien sur le fait que la conservation des échantillons est particulièrement compliquée (d'où les doublons, les envois de graines et le recours aux dessinateurs pour restituer les couleurs qui se perdent les herbiers desséchés).

Dans une 3e partie intitulée « Toujours plus loin », l'auteur se recentre encore plus sur Joseph Banks, James Cook et l'Endeavour qu'il relate par le menu en s'attardant sur les « naturels » laissés sur place ou ramenés en Angleterre, avant d'évoquer les premières expédition polaires et les premières explorations africaines…
Dans la science comme dans la culture, pour réussir il est plus important de savoir se vendre que d'entreprendre : Joseph Banks qui finalement ne fait qu'accompagner James Cook s'entoure de personnes de renom pour se faire un nom, feuilletonise et dramatise l'expédition, magnifie le rôle qu'il y joue, enjolive les choses comme il faut, fait marcher à font les réseau qu'il s'est précédemment constitué, courtise à mort en flattant les puissants, et met en place un plan media d'autant plus efficace qu'il est accompagné d'un plan marketing pour améliorer le retour sur investissement (car il a bien fait savoir le montant d'argent qu'il a sacrifié pour la connaissance, mais pas celui que la connaissance lui a rapporté). Au contraire James Bruce qu'il a découvert quasiment à lui tout seul la source du Nil Bleu et le Royaume d'Abyssinie est voué aux gémonies parce qu'il n'a pas su se vendre (et parce qu'il a remercié les Français qui lui ont apporté leur aide alors que les « French Wars » nourrissaient une francophobie plus forte que jamais)…

Dans une 4e partie intitulée « Un monde d'objet, d'images et de livres », ça part dans tous les sens même si on reste dans le sous titre avec la trilogie explorer / collecter / publier qui aurait pu constituer le plan thématique de l'ouvrage… On revient sur la nécessité de médiatiser son travail pour qu'il soit reconnu, par les gazettes qui en se parant de gravures deviennent des périodiques imprimés qui peuvent faire ou défaire des réputations pourvu qu'on dispose du bon réseau de personnes bien placées. La parole pouvant être mise en doute, il faut prouver ses dires donc ramener des échantillons : minéraux, végétaux, animaux, humains… Vu les difficultés de collecte, de conservation et de transports on recourt à des dessinateurs pour transporter la réalité mais le plus simple reste de ramener des objets et d'en prouver l'authenticité. Car voyageurs et explorateurs peuvent aussi raconter ce qu'ils veulent ! L'auteur prend pour exemple la Terre de Feu : les représentations d'Alexander Buchan et Sydney Parkison qui accompagnent Joseph Banks divergent entre elles alors que toutes deux enjolivent les choses en dépeignant un terre idyllique, alors que personne ne croit les dires de Johann Reinhold Forster qui parle d'une terre misérable qui pourtant seront ultérieurement confirmés par Charles Darwin (je ne résiste pas à la tentation d'un troll athée : les évangélistes n'étaient déjà d'accord entre eux sur l'apparence de Jésus au même moment et au même endroit, tantôt barbu, tantôt moustachu, tantôt imberbe). Non l'élargissement du monde n'ébranla pas la pensée occidentale dans ses certitudes, il la confirma dans ses préjugés : la paradisiaque Tahiti devient la Nouvelle-Cythère pour correspondre aux canons gréco-romains si chers aux Européens, les « bons sauvages » resteront toujours inférieurs aux « hommes civilisés », les Aborigènes pacifistes sont bafoués et les Maoris guerriers sont respectés selon qu'ils rentrent ou ne rentrent pas dans le moule des valeurs de la pensée occidentale.
Après je ne sais pas pourquoi l'auteur revient à la zoologie et on parle kangourou et ornithorynque avant de raconter l'histoire de la rhinocéros Clara et de la girafe Zarafa…
Puis on revient à la médiatisation des mondes extra-européens avec le merchandising qui se développe avec les papiers peints, les gravures, les médailles, les affiches, les publicités, les porcelaines…
On finit enfin sur le cas d'Alexander von Humboldt qui synthétise toutes les idées et toutes les ambitions des Lumières au premier XIXe siècle…


C'est très intéressant, j'ai appris plein de choses, mais j'ai lu suffisamment d'essais historiques pour voir qu'ici cela manque d'esprit pratique en plus de manquer de clarté. Pourquoi décrire longuement des gravures ? Mets-les en images ! Pourquoi décrire longuement des objets ? Mets-les en photos ! Pourquoi de longues listes de lieux ? Mets une carte ! Pourquoi la liste de toutes les étapes des voyages d'untel ou untel ? Mets encore des cartes ! Déjà que c'est fouillis, mets donc une bibliographie thématique et non alphabétique... Et pourquoi mettre en avant Cook pour mettre de côté Bougainville et La Pérouse ? Pourquoi mettre en avant la botanique pour mettre de côté l'astronomie, la minéralogie, la zoologie, l'anthropologie et l'ethnographie ? Et c'est dommage de ne pas avoir creusé le fil directeur des ambitions nationalistes puis impérialistes : les humanités si cher aux élites autoproclamés n'ont pas empêcher de coloniser et d'exploiter avec la pire inhumanité qui soit. Dommage aussi de ne pas avoir creusé l'idée de la République des Lettres mise à l'épreuve de la tourmente révolutionnaire vu que l'auteur déborde fréquemment sur le premier XIXe siècle…
Mais je veux finir sur une note positive : la conclusion est excellente ! Pierre-Yves Beaurepaire fait le lien entre la révolution Gutenberg et la révolution Internet, entre les musées réels qui ne savent plus que faire de leurs oeuvres et qui n'arrivent plus à gérer leurs visiteurs et les futurs musées virtuels. Il rappelle la nécessité de préserver à l'heure de la sixième extinction (qui d'après les élites autoproclamées et les entreprises multinationales n'existe pas, de même que le changement climatique, la fonte des glaciers et des pôles ou la montée des eau), mais aussi de restituer les oeuvres aux pays auxquels elles ont été « volés ». Il dénonce aussi le pillage archéologique plus lucratif que jamais, et le vandalisme archéologique plus actif que jamais. Mais surtout il met en avant tout cet héritage des Lumières qui risque de disparaître face aux impératifs financiers de cette saloperie de Veau d'Or éternelle divinité des classes dirigeantes : des milliers et des milliers de textes antiques risquent de disparaître avant même d'être traduits, parce que des milliers et des milliers de super-ordinateurs font du trading à haute fréquence pour enrichir des gens qui n'ont jamais rien fait de leur vie à part naître avec une cuillère en argent dans la bouche au lieu de faire oeuvre de service public ; des milliers et des milliers d'espèces vont disparaître avant même d'être découvertes parce la recherche de l'argent doit primer sur la préservation de l'environnement et le bien-être des gens… Mais quel Monde de Merde !!!
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