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Critique de JBLM


JBLM
28 février 2024
Envoyé au sein d'une ambassade française dans une Italie à la fois transfigurée par sa Renaissance et meurtrie par les luttes fratricides entre cités-Etats, d'ailleurs encouragées par les ingérences de toutes les grandes puissances européennes du XVIème siècle, Du Bellay quitte pour longtemps la terre de sa patrie. Ses sonnets sont une longue manifestation du mal du pays ; l'intendant de l'ambassadeur assume ses missions avec sérieux, mais une mélancolie croissante s'empare du coeur du poète, à laquelle la constatation des abjections romaines fait regretter la France jusqu'à en étouffer.

L'oeuvre se présente le plus souvent, non pas comme une adresse au lecteur anonyme ou à un moi intérieur, mais plutôt à des connaissances explicitement nommées du poète. On retrouve parmi eux des noms illustres, au premier rang desquels Ronsard et le roi lui-même, sans oublier bien sûr la soeur du roi, Marguerite, à qui Du Bellay rend un hommage appuyé en sa qualité de protectrice des arts et des lettres ; mais aussi des noms moins illustres qui, par leur abondance, font penser à un recueil épistolaire rangé par thématique. On repère des schémas relativement répétitifs : Du Bellay envie son interlocuteur de la chance qu'il a de demeurer en France, prenant prétexte de la comparaison pour faire état des turpitudes des Etats pontificaux. Les quatrains décrivent le plus souvent la réalité française heureuse ou les rêves passés sortis de l'imagination du poète en entrant en Italie, et les tercets leur répondent en présentant le contraste décevant de la situation italienne, ou les constats au présent qui ont brisé l'image fantasmée. Si les accents tristes dominent l'oeuvre, la colère et l'humour arrivent à y trouver leur place. Pour qui a quelques notions d'histoire italienne et du pouvoir qui fut à l'époque celui de l'Eglise, il est possible de mesurer la violence de ce que l'on pourrait appeler très anachroniquement des « clashs », et le risque encouru par son auteur, même si on a plutôt envie d'en sourire aujourd'hui. La carte postale de l'Italie est considérablement écornée, on l'aura compris.

On appréciera l'omniprésence de la nature dans les rapprochements et les métaphores du poète. La plupart des sonnets donnent à contempler un paysage tantôt bucolique et enluminé, tantôt sombre et froid. La nature participe de façon active à l'opposition quasi-manichéenne entre le pays étranger et la patrie perdue. Dévalorisant impitoyablement ses vers par rapport à ceux qu'il a pu écrire en France (ce qui est assez cocasse puisque c'est justement l'oeuvre qui a fait la renommée de du Bellay qui est ainsi dévaluée, il revient donc au lecteur de décider si ces lamentations relèvent d'une posture de fausse modestie ou d'un talent inconscient de lui-même), le poète établit un rapport de causalité entre son éloignement de la terre natale et la perte de la faveur des Muses. de manière générale, à côté de la nature, la mythologie latine et la culture chrétienne sont souvent sollicitées pour fournir les images poétiques et les rapprochement intertextuels, installant la plainte poétique dans une transcendance permanente où l'interaction directe avec le divin n'est pas invraisemblable.

En dépit de la langue du XVIème siècle, assez peu accessible aujourd'hui sans appareil critique, Les Regrets donnent à entendre une voix fondamentalement poétique, c'est-à-dire marquée très sensiblement par la concordance des images, des rythmes et des sonorités. le fait que cette démonstration de la musicalité de la langue française soit mise au service d'une exaltation de la France suscite une fierté vis-à-vis de ce que nous sommes qui n'a rien de chauvin, mais qui nous invite à perpétuer le lien qui nous unit à notre culture, notre histoire et notre terre.
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