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Critique de DETHYREPatricia


Déjà une dizaine de livres lus de Tahar Ben Jelloun. Donc, je ne pouvais que m'intéresser à ce livre LE DERNIER AMI qui évoque en priorité la thématique de l'amitié masculine (de l'enfance à la maturité / attraction-répulsion / relation dominant-dominé / image donnée-image réelle / Jalousie potentielle / fidélité malgré l'éloignement). Mais pas seulement.

Au travers de cette histoire qui raconte l'histoire de l'amitié entre Ali et Mamed, sur une période de quarante ans, sont également explorés les thèmes suivants : le rapport aux femmes (sexualité adolescente, mariage (fidélité / adultère), rapports de couple / jalousie / avoir ou ne pas avoir des enfants) ; la situation du Maroc qui, à cette période, faisait "disparaître" ses opposants politiques (pas de démocratie, arrestations arbitraires, camps de redressement, surveillance généralisée) ; les avantages et difficultés de l'expatriation lorsqu'on vient du Maghreb (démocratie et respect de l'individu / perte de repères et isolement / nostalgie de son pays d'origine) ; la maladie, la peur de mourir et la mort ; les clivages de classes dans la population marocaine (les jeunes éduqués, formés, aisés, ouverts par rapport aux autres quasi illettrés et sectaires) ; et accessoirement les aspects liés à la spiritualité et à la religion (athéisme / croyance, respect ou non du dogme et des interdits).

Bien sûr, le fond a toute son importance, mais c'est la forme particulière de ce roman qui a retenu toute mon attention, car elle m'a semblé ici originale.

1/ le livre commence et se termine par une lettre. Par un jeu de miroirs, s'opposent ainsi deux points de vue. Celui d'Ali qui exprime son ressenti à la réception d'une lettre de rupture, très courte et sèche qui lui est envoyée par son ami Mamed (à un instant T non défini). Et à la fin, on prend connaissance des mots exprimés par Mamed, au travers d'une lettre d'explication et de réconciliation, très longue et émouvante, qu'il adresse à son ami Ali, trois ans après la rupture.

2/ entre ces deux lettres, le livre est découpé en trois parties dont deux se veulent encore une fois des miroirs. On a le récit de cette période de vie amicale (de 1960 au début des années 2000) une fois du point de vue d'Ali et l'autre fois du point de vue de Mamed. Il est fort intéressant de découvrir ce que chaque enfant/homme a voulu trouver dans cette amitié, a trouvé, a rejeté et comment chacun d'entre eux a ressenti les mêmes événements. Chacune de ces parties donne à voir des traits (négatifs et positifs) de la personnalité du narrateur, mais aussi de son alter-ego. D'emblée, on croit percevoir qui, dans cette amitié, se révèle être un être sincère et qui semble n'être qu'un manipulateur pervers. Il est intéressant de constater, dans ces deux parties, que les non-dits de l'un sont souvent compensés par les dits de l'autre. En cela, le lecteur semble prendre connaissance de l'entièreté des personnages, avec ses atouts et ses failles.

Une troisième partie, très courte, a son importance. le narrateur en est Ramon, le bon copain du duo, qui - par la force des choses car il n'a jamais eu la place qu'il aurait voulu à leurs côtés - a été le témoin extérieur attentif de cette relation amicale particulière. Ramon qui trouve enfin une place, après l'éviction d'Ali, pour accompagner Mamed dans ses derniers instants. Il témoigne ainsi, avec son oeil extérieur, de la façon dont se sont déroulés ces derniers moments tout en rendant compte de la souffrance d'Ali, toujours dans l'incompréhension et dans la méconnaissance de la situation.

Après la forme, il y a le style de l'écriture de Tahar Ben Jelloun. Pas de fioritures ni de figures de style ampoulées. Un style simple, concret, coloré, sensible, parfois très cru, à la fois descriptif et introspectif qui confère à cette histoire des accents de vérité. Petite innovation un peu gênante au départ, mais à laquelle on s'habitue par la suite : la façon dont, sans transition formelle avec la narration (ex : deux points, ouvrez les guillemets pour montrer qu'il y a dialogue ou pensée), chacun des narrateurs est amené à exprimer, ici ou là, les pensées ou les dires de la personne dont il est question, avec ses propres mots, avec son propre style ( ex : Ali évoquant Mamed ; Mamed évoquant Ali ; les deux évoquant les militaires et matons du camp de redressement dans un sabir qui témoigne de leur manque d'érudition et de culture ; Ramon évoquant Ghita la femme de Mamed). Très peu de ponctuation aussi (seules des virgules séparent des phrases qui auraient mérité un point).
Mais, cela a l'avantage d'imprimer à l'ensemble une fluidité, un rythme rapide qui fait que ce livre est lu en à peine quelques heures.

Ce seront les quelques pages de la lettre finale qui m'auront le plus émue (je n'en dirai pas la teneur). Au point qu'il m'a fallu les relire pour en mieux percevoir et comprendre toutes les implications affectives et émotionnelles de la part de l'expéditeur. Je ne sais si cette histoire - et celle lettre en particulier - correspond à une réalité vécue par l'auteur (soit en tant qu'envoyeur de la lettre ou récepteur de ladite lettre) dont il aurait pu s'inspirer, ce qui expliquerait toute l'émotion qui s'en dégage. Néanmoins, si ce livre, et cette lettre en particulier, n'avaient aucune portée autobiographique, alors ceux-ci ne feraient que souligner la grande maestria de l'auteur, pour nous faire vivre et ressentir au travers son écriture, autant de réflexions et d'émotions.

Donc, un livre à lire si vous aimez Tahar Ben Jelloun ; si vous vous intéressez à l'histoire du Maroc et au mode de vie de ses habitants ; si vous souhaitez avoir un aperçu de ce qui se joue dans les amitiés masculines dès lors que l'on fait tomber les masques des apparences et que l'on fait fi de sa pudeur.










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