AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de berni_29


Les demeurées, on les nomme tout d'abord les abruties.
C'est une mère et sa fille, à la lisière d'un village, à la lisière du monde des autres.
Chaque jour d'elles n'est rien, c'est comme une absence, rien ne s'apprend, rien ne s'éprend, l'émotion semble éloignée de leurs pas.
Elles vivent sans les mots entre elles, elles ont d'autres chemins pour venir l'une à l'autre, se comprendre dans le silence qui tient lieu de leur univers. Entre quatre murs.
Elles sont dans un autre monde qui les ignore peut-être aussi.
La mère, on l'appelle La Varienne, on ne saura jamais pourquoi on la nomme ainsi. Sa fille, c'est Luce.
On pourrait croire qu'elles s'ignorent. On pourrait presque le croire.
Tout a lieu entre elles dans le silence, le désastre du réel qu'elles ne savent pas prendre dans leurs mains, dans leurs gestes comme il faut.
À la place des mots, il y a des gestes. Comme une louve avec ses petits, des gestes pour protéger, des gestes pour aimer. Pour la protéger du monde du dehors.
« Demeurée, c'est l'autre nom pour l'abrutie qu'elle est. »
Et puis Luce doit aller à l'école.
À l'école, les rires des autres enfants la condamnent par avance au silence. Aussi l'institutrice Mademoiselle Solange ne l'interroge plus. C'est plus tard après la classe que cette maîtresse d'école vient s'asseoir près d'elle, tenter de percer ce silence malgré l'impatience qu'a la petite de vouloir rentrer si vite chez elle, s'engouffrer dans un autre silence là-bas. Là-bas, demeurée près du silence de sa mère...
Enfermées, invulnérables.
Demeurées.
Demeurées dans leur silence.
« Luce n'apprend rien. Luce ne retient rien. »
L'institutrice voudrait aider Luce à apprendre, voudrait l'aider avec l'attention et la douceur qu'il faut pour venir jusqu'à Luce, venir au bord de son monde, être apprivoisée par l'enfant.
Une douceur sans limite étreint Solange la maîtresse d'école lorsqu'elle se retrouve devant le regard des enfants de sa classe, l'étreint depuis qu'elle fait ce métier, sa passion.
Apprendre est une joie. Fut toujours une joie. Pourquoi aujourd'hui douterait-elle de cette joie ?
« Elle mènera cette enfant au seuil du monde, par les mots. »
Dans la cour de récréation, Luce ne se mêle pas aux jeux des autres enfants. Ses yeux, ses pensées peut-être qui sait, se mêlent à la cime haute de l'arbre de la cour.
Comment inverser cette fatalité qui dit ici au village que l'enfant d'une demeurée est une demeurée. ? Comment conjurer le sort ?
Demeurées, craintives du monde extérieur.
C'est aussi le récit de cette institutrice dont le monde qu'elle pensait si bien connaître se fissure sous ses pieds. Se rendre compte qu'elle ne peut rien, se sentir ainsi démunie, c'est comme un échec, comme un désarroi, un chagrin... Alors Solange a mal. Alors Solange vacille.
J'ai relu aujourd'hui ce court roman de Jeanne Benameur qui tient en quatre-vingt-quatre pages. Je me souviens de l'avoir lu il y a très longtemps, c'est la porte par laquelle je suis entré dans l'univers de cette autrice si inspirante. Je ne me souvenais pas de cette fin. Je n'en dirai rien ici.
L'écriture offre un texte sobre, à l'épure, dans un récit sensible et généreux où les phrases, poétiques, sont ciselées comme dans le travail d'un orfèvre. Elles vont à l'essentiel.
Demeurées dans l'amour.
Un livre poignant, où les mots appris deviennent vivants.
J'ai été touché au coeur à la relecture de ce livre fort beau.
Commenter  J’apprécie          7134



Ont apprécié cette critique (66)voir plus




{* *}