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Critique de horline


On parcourt ce roman comme son héros Jean-Patrick athlète sur huit cent mètres. D'abord à un rythme régulier sur une piste balisée avec un compte à rebours implacable et entêtant pour finir à bout de souffle et le coeur au bord de la nausée parce que dans "Courir sur la faille" Naomi Benaron a choisi de raconter la lente maturation du génocide rwandais.


L'auteure ne manque pas pour autant de décrire un pays qui subjugue par ses couleurs, le lac Kivu intensément bleu en raison de sa profondeur, bordé de terre ocre et de collines verdoyantes en raison de la fréquence des pluies. Naomi Benaron parvient à mettre tous nos sens en éveil en décrivant un Rwanda charnel et envoûtant qui parviendrait presque à faire oublier la faille géologique le long de la Vallée du Grand Rift sur laquelle repose le Rwanda si derrière cette faille il n'y avait pas une fissure beaucoup plus dangereuse, celle ethnique qui divise le pays entre hutus et tutsis.
Un front haut, un corps élancé, des chevilles fines, et vous êtes considéré comme tutsi ou "cancrelat", une distinction superficielle née de la colonisation et qui ne cessera d'élargir la faille divisant le pays. Des regards méfiants aux brimades en passant par toute sorte d'humiliations, le récit avance lentement mais surement vers le massacre que l'on connaît…


Oui, l'histoire du génocide de 1994, on l'a lue dans les journaux, vue à la télé, on croit la connaître. Et pourtant, on ne l'a jamais reçu de cette façon, comme une claque en pleine figure. On sort de cette lecture terriblement bouleversé.
Certainement parce que Naomi Benaron a su trouver les mots, le style, une histoire intime, celle de Jean-Patrick Nkuba, pour nous plonger frénétiquement dans l'histoire tragique d'un pays. Jean-Patrick ne se préoccupait pas réellement d'être Tutsi, mais il pouvait compter sur les Hutus pour le lui rappeler. Seule lui importait la sensation de joie intense qui se répandait dans tout son corps lorsqu'il courait avec son frère sur les chemins boueux. Puis courir est devenu une nécessité, non seulement pour atteindre son rêve olympique mais aussi pour s'affranchir de la pesanteur de son pays. Se libérer de l'air chargé d'humidité et de haine qui, comme la brume après la pluie, recouvre progressivement le pays. Survivre.

Bien documentée, l'auteure ne nous épargne rien, elle laisse le lecteur sans distance possible pour échapper à la brutalité des faits. Elle décrit la marche forcée vers les exécutions sommaires et les massacres, elle prend la réalité pour ce qu'elle est, c'est-à-dire effrayante, en plongeant ses personnages dans un piège suffocant. Une guerre fratricide où les voisins deviennent les bourreaux. Face à cela, on se sent bien impuissant, la naïveté de Jean-Patrick et de quelques autres est glaçante d'effroi car Nous, nous savons ce qui va se produire.
On lit ainsi le récit l'estomac noué. Pas seulement en raison de la tension grandissante. Mais aussi parce qu'on est comme envoûté par une étrange poésie et une émotion qui, au coeur de la barbarie, donnent à lire un texte épuré, tout ensemble radieux et ténébreux. Naomi Benaron use d'une écriture pleine de grâce et de sensualité pour dire la folie des hommes et raconter une tragédie où vie et mort fusionnent de manière bouleversante.
Roman magnifique qui prouve une fois encore que parfois la fiction en dit bien plus sur la réalité qu'un long discours ou une enquête journalistique.

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