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Critique de Electra


Brit Bennett, auteur d'un premier roman, s'interroge, à travers neuf essais publiés dans diverses revues sur qu'être noire, signifie de nos jours, dans l'Amérique et plus précisément celle de Trump.
Née en 1990, dans une famille aisée, Brit Bennett a grandi en Californie dans un cocon. Diplômée de l'université de Stanford, la jeune femme a publié son premier roman, le coeur battant de nos mères (The Mothers) en 2017. Mais elle « s'est réveillée » à la mort de Trayvon Martin, ou plus précisément lorsque son meurtrier a été acquitté. Soudainement, la jeune femme a pris conscience de sa différence et le nombre de victimes de violences policières n'a fait qu'accentuer son sentiment d'insécurité. Ses neufs essais ont été publiés dans diverses revues et réagissent à l'actualité.

J'ai trouvé ce recueil absolument passionnant et je l'ai lu d'une traite, ne cessant d'utiliser des marque-pages car j'ai trouvé toutes ses réflexions intelligentes et frappantes. le titre du recueil vient de la réaction d'une partie de la population blanche après les violences policières ou la tuerie de Charlotte. Sur les réseaux sociaux, ces Américains ont voulu se démarquer de leurs compatriotes racistes en créant un hashtag pour dire qu'ils étaient « bons « . Pour ma part, j'avais trouvé cette démarche fallacieuse et Bennett la trouve aussi très prétentieuse.

Brit Bennett répond donc aux « gentils Blancs » qui s'interrogent sur le fait que les gens de couleur ramènent « tout à la question de la race« , ce à quoi l'auteur répond très intelligemment qu'elle ne connaît jamais les intentions d'une autre personne, comme lorsqu'une femme blanche, à l'aéroport, la double honteusement au moment de l'enregistrement, les questions fusent « est-ce parce que je suis jeune ? Noire ? ou peut-être ne m'a-t-elle pas vue ? ». Brit Bennett revient longuement sur les violences policières qui ont mené à la mort de plusieurs hommes noirs ces dernières années. Plusieurs policiers ont dit qu'ils n'avaient pas l'intention de tuer, ce à quoi Bennett leur répond :
"Vos bonnes intentions sont-elles bonnes si elles nous tuent ?"

Un de ses essais les plus passionnants est sur la différenciation que font les médias et le gouvernement lorsque le terroriste est « blanc et américain » et lorsque les victimes sont essentiellement noires. Brit Bennett s'appuie sur l'horrible tragédie de Charlotte, où un homme blanc raciste est entré dans une église et a abattu neuf personnes, toutes noires. le tueur portait un manteau faisant figurer le drapeau de l'apartheid, collectionnait les affiches et autres objets liés au KKK et affichait ouvertement des propos extrémistes (« il faut tuer tous les Noirs ») et pourtant les médias n'ont jamais lié son crime à un acte raciste car :
"Dans un cas comme l'autre, il n'est jamais le symptôme de quelque chose de plus vaste qui a trait à la couleur de sa peau, et ce n'est jamais un raciste ordinaire. Il ne représente que lui-même."


J'ai appris depuis que les policiers l'ont même emmené dans un fast-food manger, tout juste après on arrestation. Difficile d'imaginer le même traitement si l'assaillant avait été noir! J'ai immédiatement pensé au terroriste qui a tué plus de cinquante personnes et blessé plus de cinq cents autres à Las Vegas l'été dernier. Un homme blanc riche d'une soixantaine d'années. Les médias américains l'ont décrit comme dépressif, solitaire, désorienté. Il a semé la terreur pendant plus de trois heures mais les médias et même Trump ont refusé d'utiliser le terme de terroriste à son encontre. Car un terroriste est forcément une personne à la peau basanée d'origine étrangère….

Brit Bennett a de trouvé de précieux alliés et des voix majeures dans cette lutte avec Ta-Neshi Coates et Jesmyn Ward. J'aime l'angle dont elle a choisi de lire leurs écrits : celui de la place des femmes noires dans les romans et essais. Ainsi elles ne sont qu'accessoires et secondaires dans les textes de Coates, elles sont souvent essentiellement vues comme la mère ou la compagne éplorée d'un enfant ou d'un homme noir assassiné. Coates a avoué qu'il se sentait incapable de parler en leurs noms. A l'inverse de Jesmyn Ward qui met les hommes et femmes noirs sur un pied d'égalité. Pour étayer ses propos, Brit Bennett cite longuement les écrits majeurs de Toni Morrison avec Beloved ou de Colson Whitehead dans TheUnderground Railroad où les femmes noires subissent la violence de tous les hommes, qu'ils soient noirs et blancs. Ce qui les a poussé à adopter des comportements plus protecteurs, comme éviter de sortir seul le soir – moment privilégié hélas dans les meurtres d'hommes noirs par la police.

Que ce soit Morrison ou Whitehead, la question de l'esclavage est également largement abordée dans son recueil. L'auteur explique qu'aucune plaque commémorative n'existe sur l'esclavage, ni sur ses victimes et cite longuement Morrison. Les statues des généraux sudistes ont toujours leurs places, elles.

Brit Bennett aborde aussi la campagne de Trump et son désir de « Make America Great Again » (rendre sa grandeur à l'Amérique). Mais cette nostalgie est dangereuse. Leur référence du bonheur ? Une période où la ségrégation existait, où les Noirs n'avaient pas le droit de vote, où les autres minorités étaient persécutées, l'homosexualité un crime. Un temps où les Blancs avaient le pouvoir.

Et puis, fait émouvant, tout au long du livre, l'auteur cite sa mère, fille de métayers en Louisiane, et sa grand-mère maternelle qui parlait encore français et ne savait ni lire, ni écrire. Enfant, la mère de Brit Bennett cueillait le coton avant d'aller à l'école. Une école ségrégationniste. Elle allait s'asseoir à l'église dans les rangées réservées aux personnes de couleur. Et l'an dernier, elle a eu peur pour sa fille lorsque celle-ci a entamé une tournée dans le Sud. Mais sa mère a aussi voté pour le premier président noir. Selon Bennett, l'ouverture au monde et l'émergence des réseaux sociaux contraignent son pays à ne pas se replier dans l'isolement, tel que le souhaite Trump, et les poussent à aller de l'avant.

"Le monde devient plus vaste en même temps qu'il se rétrécit ; il se contracte et gonfle comme nos poumons. Alors, respirons profondément et mettons-nous au travail."
Lien : http://www.tombeeduciel.com/..
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