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Critique de berni_29


Je savais que L'Atlantide m'attendait quelque part enfoui dans les différentes piles de livres qui gisaient pêle mêle chez moi.
Je l'avais cherché en vain durant toute la soirée. Las, je m'étais endormi sur le canapé du salon, lorsque brusquement un bruit violent m'arracha de mon sommeil. La fenêtre était ouverte, battait dans le vent, des trombes d'eau entraient par effraction, soulevaient le rideau qui venait se mélanger à la nuit.
L'orage était venu soudainement. Je refermai la fenêtre et regagnant le canapé, je découvris du sable comme jeté à la volée, éparpillé sur le sol. C'était un sable fin, ocre, tiède... Cela ne m'étonna guère, j'ai déjà observé des pluies sahariennes qui remontent parfois du sud pour se déverser sur les terres bretonnes. Et dans ce sable épars, je devinais l'incrustation d'un pied nu. J'aurai juré que c'était la forme d'un pied féminin. Puis un autre pied suivait... Les pas inexorablement semblaient se diriger vers une des bibliothèques du salon... Sur la troisième étagère en partant du bas, il y avait encore un peu de sable et comme le souffle d'une voix qui me disait de lever mon regard. C'est alors que je vis parmi l'arête des autres livres, celui-là légèrement extrait de la rangée, comme s'il me guettait, comme si une force secrète avait voulu m'en désigner le chemin. L'Atlantide, de Pierre Benoit, m'attendait...
C'est ainsi que j'entrai dans la magie du livre, le reste de la nuit fut un voyage enchanteur.
Le désir d'un livre tient souvent à son mystère, à l'imaginaire qui l'accompagne. L'Atlantide est un mythe vieux comme le monde, évoquant une cité prospère puis qui fut engloutie par les océans. Platon l'évoquait déjà dans son Critias. Nous autres bretons avons dans notre patrimoine culturel une légende celtique toute proche, celle de la cité d'Ys, elle aussi engloutie par l'océan, ville ancienne qu'on situerait dans la baie de Douarnenez, légende au coeur de laquelle jaillit là encore une figure féminine majeure, Dahut, mélange de déesse et de fée.
Dans l'Atlantide de Pierre Benoit, on entre par la route des caravanes, aux confins du désert du Sahara. Ici l'auteur, au lieu d'une terre dévorée par les eaux, choisit le désert abandonné par les eaux. Plus exactement, la mythique cité engloutie n'aurait pas été immergée par un océan, mais serait une terre émergée au milieu des sables du Hoggar.
L'Atlantide est un récit dans lequel sont enchâssés plusieurs autres récits qui se déplient en flash-back, dont le principal d'entre eux est une confidence. C'est ainsi d'ailleurs que commence le roman. Nous sommes en 1903, en Algérie française, dans un poste militaire avancé au bord du Sahara.
Le narrateur, le lieutenant Olivier Ferrières nous évoque les retrouvailles avec un ancien camarade de promotion, le capitaine André de Saint-Avit, nommé pour prendre le commandement du poste. Ce dernier jouit d'une mauvaise réputation. Six ans plus tôt, il faisait partie de la mission Morhange/Saint-Avit chargée de restaurer une ancienne route commerciale du IXème siècle.
Le capitaine Morhange ne reviendra jamais de cette expédition. Les soupçons les plus affreux pèseront sur le seul survivant. Un soir le capitaine Saint-Avit décide de se confier au lieutenant Ferrières pour restituer sa vérité. Derrière le but officiel de chercher une ancienne route, ou d'effectuer des relevés topographiques, se cachait un rêve fou : rechercher les ruines d'une ancienne cité disparue. Lors d'un orage, ils sauvèrent un targui de la noyade dans un oued, celui-ci pour les remercier leur évoqua l'existence de ce qui pourrait ressembler à la cité perdue. Ils le suivirent, mais tombèrent dans un piège. Ils furent drogués et se réveillèrent le matin dans un lieu qui dépassait leur imagination, une sorte de palais exotique entouré d'une végétation luxuriante. Il leur fut révélé que la souveraine du lieu se nommait Antinéa, lointaine fille de Neptune et qu'ils en seraient ses prisonniers...
Ici le merveilleux côtoie le macabre.
L'Atlantide, c'est la fascination de l'inconnu et de la mort, histoire qui n'est pas sans me rappeler la nouvelle De Rudyard Kipling, L'homme qui voulut être roi.
J'ai adoré ce roman. Certes, les mots sont teintés de l'esprit d'une IIIème République fortement colonialiste. Certes, le thème est si rocambolesque que le propos n'est pas d'y croire. Mais j'ai trouvé chez cet auteur un art fabuleux de me conter une histoire qui m'a emporté, celle d'une souveraine qui attire dans ses labyrinthes des officiers, des explorateurs, qu'elle fascine de ses charmes et qui dès lors n'ont d'autres destins que de vouloir mourir d'amour...
Il faut y voir la résurgence d'un mythe éternel, revisité par d'autres chemins qu'on peut déplier à l'infini. Chaque lecteur aura la liberté d'interpréter à sa guise l'allégorie possible de ce texte intemporel...
Et si la beauté de l'écriture était un ensorcellement ? Et si les livres étaient capables de nous emprisonner dans leur nasse avec leurs mots, comme certains personnages mythiques par leur beauté fatale.
Seconde incursion dans l'oeuvre de Pierre Benoit, j'y ai vu un chemin différent, avec cependant toujours cette magnifique écriture ciselée, mais aussi l'art d'offrir au lecteur ce pouvoir envoûtant de dérouler l'imaginaire à ses pieds, comme Antinéa devant son miroir, se croyant seule, lorsqu'elle laisse glisser lentement sa tunique le long de son corps, en dévoilant sa nudité somptueuse...
Comme le capitaine Saint-Avit qui ne rêve que d'une chose, revenir là-bas et affronter son destin, j'ai alors refermé le livre, l'ai reposé à son emplacement sur l'étagère de la bibliothèque, j'ai ouvert grande la fenêtre et je me suis imprégné du chant de la nuit, tandis que derrière moi je sentais déjà l'appel des sirènes d'autres livres et leurs mots emplis de désir...
Je ne savais pas encore quel chemin prendre...
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