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Critique de Lamifranz


Jean Cocteau dit un jour à Pierre Benoit : « Vous avez le génie de l'imprévu ». Venant de lui, c'était assez cocasse. Mais rien n'était plus vrai : quand on regarde la production littéraire de Pierre Benoit, on est constamment surpris, et le plus surprenant c'est qu'en même temps on ne l'est pas. Pierre Benoit change constamment de pas, de rythme, de musique, il va du fond de sa province aux antipodes de l'Empire colonial, il place ses romans dans l'actualité et dans l'Histoire… mais avec une certaine continuité dans le mouvement qui fait que finalement on est content de ce qu'il nous donne, puisqu' il répond à notre attente.
« L'Ile verte » est sans doute un de ses plus beaux romans. Ce n'est certes pas le plus connu, ni dans les romans « exotiques », ni dans les romans « provinciaux », mais c'est un des plus riches et des plus captivants. En fait il procède des deux genres : c'est un roman « provincial puisqu'il se situe dans l'estuaire de la Gironde (l'île Verte est la plus grande île de l'estuaire) et que les protagonistes (des bourgeois bordelais) affichent les préoccupations et les états d'âme inspirés par le décor qui les entoure. En même temps il n'est pas exagéré de dire qu'il s'agit également d'un roman « exotique » : l'île Verte est un monde à part, un paradis écologique (surtout pour la faune ornithologique), en particulier pour le personnage principal.
Le roman raconte l'histoire d'Etienne Ruiz, un taxidermiste bordelais. A l'occasion d'une partie de chasse à laquelle il est invité, il découvre le paradis ornithologique de l'île Verte, dans l'estuaire de la Gironde. C'est une révélation. Il décide de tout mettre en oeuvre pour faire de ce territoire une réserve ornithologique. Ce projet magnifique n'est pas sans inquiéter sa fille Isabelle, sa cousine Andrée, et son commis Bernard. Ces trois personnages, dont les liens entre eux ne sont pas toujours très clairs, vont intriguer pour essayer de contrer les projets d'Etienne. C'est qu'il risque de ruiner toute la famille ; il a déjà acheté une bonne partie de l'île et entant y bâtir une réserve zoologique. le roman raconte cette opposition entre Etienne, qui s'enferme dans une douce folie, sans rien comprendre en dehors de sa passion pour les oiseaux, et les trois autres, de sens plus rassis, mais qui jouent aussi de leur côté leur carte personnelle.
Mais le personnage principal du roman, c'est bien cette île Verte, qui est l'objet de toutes les attentions et de toutes les haines : Jamais Pierre Benoit n'a été aussi poétique dans ses descriptions, aussi sensible, aussi proche de la nature, de ses couleurs, de ses bruits divers, de ses odeurs. Il nous fait effectuer une plongée magique dans un univers particulier (et on en mesure encore plus le prix aujourd'hui) qui est le royaume de la vie sauvage et naturelle, symbole d'innocence et de liberté. Et les oiseaux en sont bien évidemment les symboles.
La « folie » d'Etienne, on la comprend, même si on comprend aussi les motivations de ses adversaires. le roman pouvait dériver dans plusieurs directions : vers un fantastique (où la nature aurait eu le dernier mot), vers un mélodrame pathétique (en racontant les faits tels qu'ils se sont déroulés), mais l'auteur se contente de raconter le drame avec justesse et sensibilité, mettant en lumière la nature profondément humaine de ses personnages : à la fois forts et faibles, enclins à faire des choses qui les dépassent, et tellement faibles devant l'adversité, et pourtant si avides de bonheur, ce bonheur qu'Etienne, lui, croit avoir trouvé auprès des oiseaux.
Je ne sais pas si Pierre Benoit, qui a fini sa vie au Pays Basque, a eu connaissance ce poème très célèbre (et chanté) en Euskadi : « Hegoak » (« les ailes ») :
Si je lui avais coupé les ailes
Il aurait été à moi
Il ne serait pas parti
Oui mais voilà,
Il n'aurait plus été un oiseau
Oui mais moi,
C'était l'oiseau que j'aimais

Etienne Ruiz aurait pu chanter ce poème, lui qui recherchait une sorte d'absolu, impossible à atteindre sans le dénaturer.

« L'Ile Verte » est un très bon roman. Très loin de « l'Atlantide » ou de « Koenigsmark » mais d'une autre étoffe, plus fluide, plus poétique, et d'une certaine façon, plus humaine.






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