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Critique de NMTB


NMTB
19 décembre 2014
Cet « Essai sur les données immédiates de la conscience », publié en 1888, est le premier livre important écrit par Bergson. Il s'intéresse aux sempiternelles questions que posent les rapports de l'âme au monde physique. Bergson, juif d'origine, finira chrétien, et on peut constater que ce christianisme est déjà sous-jacent dans cet essai. Mais écrire une phrase comme celle-ci, c'est ne pas avoir compris la philosophie de Bergson, c'est avoir une vision spatiale du temps, ne pas comprendre que la conscience bénéficie d'une vraie liberté et qu'elle est imprévisible, qu'elle se construit dans la durée.
Dans le premier chapitre, Bergson s'évertue à démontrer qu'il n'y a pas, comme on a tendance à le croire - comme notre condition d'animaux raisonneurs veut bien l'admettre -, de changements quantitatifs dans nos états de conscience. Par exemple, il n'existe pas de sentiments plus ou moins forts. Ce « plus » et ce « moins » sont des raisonnements qui appartiennent au monde physique. Ce sont des raisonnements qui font une analogie avec le monde spatial, celui de la physique, celui qui délimite les choses, les sépare, peut les dénombrer. Dans la conscience humaine, la plus profonde, il n'y a pas d'espace, pas d'intervalles, pas de changements quantitatifs, mais des changements qualitatifs. le sentiment n'est pas plus ou moins fort, il est en constante évolution, il devient. C'est le monde de la durée.
Mais la durée n'est pas non plus le temps tel qu'on l'envisage habituellement. Ce n'est pas quelque chose de calculable. C'est ce que tente d'expliquer Bergson dans le deuxième chapitre. Et c'est donc là qu'intervient l'un des concepts les plus importants de sa philosophie, celui de la durée. En s'appuyant sur une analyse du nombre, de l'unité et de la multiplicité, il différencie le temps que la conscience réfléchie connait - un temps que l'on peut donc compter -, de la durée, qui est celle dans laquelle évolue la conscience profonde. La durée n'est pas un présent perpétuel, mais ce n'est pas non plus un temps qui s'étend, avec un passé qui n'est plus et un avenir qui n'existe pas, ce sont tous les instants vécus par la conscience qui s'interpénètrent.
Quand on lit ce livre, il est impossible de ne pas avoir quelques réminiscences de Proust. C'est particulièrement le cas dans ce deuxième chapitre. Par exemple quand Bergson compare les différentes appréhensions qu'on peut avoir du temps à la perception d'une phrase musicale. Comment ne pas songer à « la petite phrase musicale de Vinteuil » ? Et comment ne pas rapprocher « La recherche du temps perdu » - une recherche perdue d'avance, pourrait-on dire - aux conceptions sur la durée développées par Bergson ? En tout cas, on sait que Proust avait lu Bergson.
Mais toute cette philosophie pourrait paraître très théorique et sans importance si Bergson n'avait pas, dans le troisième et dernier chapitre, cherché les conséquences que cette mauvaise interprétation du « temps psychologique » pouvaient avoir. Car cette mésinterprétation a pour conséquence de ne pas se poser les bonnes questions sur la liberté de l'homme, sur sa volonté. Bergson renvoie dos-à-dos les partisans du libre arbitre et du déterminisme. Chacun se trompe car aucun ne comprend ce qu'est la durée pour la conscience. D'une manière générale, Bergson a plutôt tendance à s'opposer aux déterministes, aux psycho-physiciens et à tous ceux qui essayent de « mécaniser » à outrance l'âme humaine. Il y a dans l'âme humaine quelque chose qui n'appartient pas au domaine de la logique, du langage, quelque chose qui ne sera jamais tout à fait dicible et communicable. Et ce quelque chose, c'est la liberté.
Je ne sais pas exactement quelle place tient Bergson dans l'histoire de la philosophie, quelle exégèse on a pu en faire, quelles réfutations on a pu lui opposer. Mais je peux dire que c'est un vrai philosophe, qui avait l'air d'être assez au courant des avancées scientifiques de son temps et qui, contrairement à beaucoup de ses confrères, avait le mérite de bien écrire, clairement, sans trop jargonner. Un philosophe accessible pour tout le monde, sans avoir besoin de beaucoup de connaissances (du moins, elles ne sont pas indispensables), juste de la concentration, et qui permet d'apercevoir ce que peut être la richesse d'une vie intérieure.
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