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Critique de Ingannmic


Avec cette "Nouvelle histoire de Mouchette", Bernanos m'a d'abord surprise, par une fluidité de l'écriture à laquelle de précédentes lectures (se limitant, pour être honnête, à celle de "Monsieur Ouine", et à une tentative avortée concernant "Le journal d'un curé de campagne") ne m'avait pas préparée... Il m'a ensuite à la fois atterrée et conquise, le sordide et douloureux destin de Mouchette suscitant autant de tristesse que la compassion et la justesse avec lesquelles Georges Bernanos le dépeint provoquent l'admiration.

Au cours de la vingtaine d'heures pendant lesquelles nous accompagnons Mouchette, quatorze ans, c'est tout un univers que nous pénétrons, et toute la désespérance de cette âme torturée par son incompréhension face à la violence du monde. Entre un père ivrogne et une mère gravement malade, au sein d'une fratrie dont le dernier membre, victime de l'alcoolisme parental, est né débile, l'adolescente a grandi dans un milieu où la misère prend trop de place pour autoriser un geste d'affection ou une quelconque marque d'attention envers des enfants essentiellement considérés comme des bouches à nourrir.
Négligée par ses parents, exclue par les autres enfants, méprisée par la maîtresse d'école, Mouchette est une fille sauvage et rebelle, à la manière d'un animal qui, poussé par son instinct, se lance dans une fuite éperdue pour échapper au carcan d'un environnement qui la condamne à la médiocrité.

Les premières pages la trouve en train d'épier ses camarades à la sortie de l'école, spectatrice d'une insouciance et d'une complicité enfantine qu'elle ne connaîtra jamais. Sur la route du retour, empruntant des chemins de traverse, surprise par la pluie et le vent, perdant, dans le noir, ses repères, elle s'égare dans les bois, laisse une de ses chaussures miteuses dans un trou de boue où elle est tombée... puis rencontre M. Arsène, qui l'emmène à l'abri dans le secret de sa hutte de braconnier...

Georges Bernanos nous emmène en compagnie de Mouchette dans un univers grisâtre, boueux. La fillette, malgré son désir à peine conscient de révolte contre le déterminisme social qui la relègue au rang des indésirables, est, par son manque d'expériences relationnelles et l'autonomie avec laquelle elle a du faire l'apprentissage du monde, dépourvue des armes propres à se prémunir des dangers liés à la concupiscence et la duplicité de certains adultes. C'est ce qui fera d'elle une victime passive de son malheur. Imprégnée de l'intensité de ses émotions et de ses peurs, elle expérimente avec détresse la solitude dans laquelle l'incompréhension des autres plonge les êtres différents.

L'auteur adopte une posture d'interprète : il est celui qui décrypte, pour les retranscrire au lecteur, les mécanismes qui président aux pensées et aux sentiments de son héroïne, qui déterminent ses actes, elle-même ne disposant pas de suffisamment de recul ou de maturité pour les analyser. Mouchette ressent, Bernanos décrit et analyse. Mais il le fait en démontrant une telle tendresse, une telle amertume face au gâchis que constitue la violation de son innocence, qu'il crée la possibilité d'une proximité avec sa petite Mouchette, que le lecteur n'oubliera pas de sitôt...
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