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Critique de Malka


Malka
21 novembre 2022
Pour ma deuxième participation à la Masse critique de Babelio, parmi ma liste de livres sélectionnés, figurait « Le rêve du démiurge » intégrale 1 de Francis Berthelot édité chez Dystopia.
Auteur contemporain, j'avais entendu son nom circuler sur les forums plutôt spécialisés dans les littératures de l'imaginaire. J'avais également débuté son cycle Khanaor (cycle de fantasy sorti dans les années 80) assez prometteur, dont j'appréciais style et ambiance.
Le cycle « le Rêve du démiurge » est lui même sorti courant des années 90 et 2000.
Après la lecture d'une préface instructive écrite par Samuel Minne, j'ai eu envie d'en découvrir un peu plus sur l'auteur et j'ai découvert un artiste, scientifique de formation, compositeur de musique, et surtout (c'est ce qui va nous intéresser le plus dans cette chronique) un auteur qui explore le rapport du réel et du surnaturel ainsi que la zone où les deux se rencontrent.
Dans le cycle « Le rêve du Démiurge », à partir du troisième tome de cette intégrale, une touche d'imaginaire vient s'entremêler au récit réaliste, où vont se croiser des personnages des deux premiers romans.
Si les romans peuvent se lire indépendamment, je suis heureuse de les avoir découvert dans cette intégrale, me contraignant à un ordre chronologique cohérent, qui prend toute sa signification dans le troisième tome. Lire le troisième tome « Mélusath » sans avoir lu les précédents, serait se priver de toute une continuité d'ordre chronologique pour le récit, mais aussi de toute une richesse d'interprétation et de compréhension des personnages.
Le deux premiers tomes se classent dans la littérature blanche. Des thèmes communs, fils conducteurs donnent une cohésion à l'intégrale. Ainsi, dans ces deux premiers récits, on découvre des personnages principaux présentant des similarités : des garçons solitaires (une solitude involontaire et parfois refuge bienvenu), victimes de harcèlement, proies de traumatismes d'enfance liés aux secrets, aux non-dits et aux rapports familiaux conflictuels. Ce sont également deux personnages gays qui ne vivent pas forcément bien leur situation, et logiquement pas au grand jour (un secret de plus à garder), puisque l'action se déroule dans les années 50-60. Ce deux artistes s'avèrent également adeptes, à leur manière, du trompe l'oeil (art que l'on retrouve dans les tomes 2 et 3). 
De plus, même si ce sont deux romans réalistes, on y décèle des atmosphères propres à l'imaginaire, fantasmagories de l'enfance ou étrangetés à peine perceptibles, accessibles aux rêveurs et aux artistes.

Dans le premier tome « L'ombre d'un soldat », Olivier est un petit garçon perturbé. En effet, enfant de l'après guerre (deuxième guerre mondiale), il souffre des non-dit omniprésents dans sa maison, dans son village... Ce sont des attitudes d'adultes parfois déroutantes, des mots lancés avec fausse désinvolture, des reproches, de la colère, des disputes et un sujet commun : la grande guerre.
Du haut de ses six ans, Olivier comprend que quelque chose de terrible s'est passé au sein de sa famille, de son village et que sa mère y joue un rôle primordial. Une mère qu'il place sur un piédestal, belle, gentille et douce, présente et chaleureuse, aux antipodes d'un père bourru et bien souvent alcoolisé.
Quand, secrets et non-dit deviennent trop lourds à porter, Olivier accompagné d'un pantin hussard à la langue bien pendue, poussé par une curiosité presque malsaine et obsessionnelle se met en quête de vérité. Pourtant, le pauvre garçon est loin d'être préparé à ce qu'il va apprendre.
La vérité, c'est celle de la guerre et des actes odieux qu'on exécute en son nom, celle d'une résistance courageuse, celle de l'amour et de la rédemption, celle de la haine qui suit les heures noires de celle ci, même quand elle s'est arrêtée.
Les méfaits effroyables de la guerre et sa stupidité odieuse sont donc dénoncés avec virulence... ainsi que les traces indélébiles, qu'elle laisse et se transmettent à la génération suivante, laissant des enfants innocents marqués par les traumas de leurs parents.
Ce récit s'est imposé à moi, sombre, intense et juste, bouleversant. Je me suis pris une claque à la lecture et c'est le tome que je préfère dans cette intégrale, même si j'ai également beaucoup apprécié les suivants.

Dans le deuxième tome « Le jongleur interrompu », Petrel jeune garçon peu considéré par les habitants de son village portuaire breton, mène une existence solitaire, sans famille si ce n'est la femme qui l'a recueillit et un grand père qui le hait.
Petrel, épileptique, en proie à de nombreuses crises, qui le laissent, le plus souvent, inconscient, souillé et honteux, encaisse au quotidien hostilité ou railleries. Il s'enferme dans sa solitude et dans son atelier d'empaillage, où il fait des merveilles. Il possède le talent de rendre « vivants » les animaux après leur trépas, par son souci du détail et un souffle d'illusion, comme une technique savante de trompe l'oeil appliquée à son art.
Quand le cirque s'installe dans le village il voue au jongleur une fascination sensuelle et amoureuse.
Dans ce tome, on découvre l'évolution de Pétrel après l'arrivée des forains : entre amitiés qui se nouent, secrets qui se dévoilent, le jeune homme se libère.
Le jongleur Constentin suit le chemin contraire, se détériore, faisant face à une maladie qui le délite peu à peu.
La maladie prend donc, une place importante dans ce récit parallèlement aux thèmes déjà abordés dans le « l'ombre d'un soldat », tel le trauma de l'enfance, les non dits et le harcèlement.

Dans le troisième tome, « Melusath », le trompe l'oeil devient un sujet explicite. Gus, artiste des rues, le pratique avec virtuosité et met à profit ses talents pour le théâtre du Dragon et sa troupe d'acteurs. L'art y trouve donc la part belle. Entre ses oeuvres et oeuvres théâtrales, l'artiste donne accidentellement vie à Melusath, le génie du théâtre, qui va s'ingénier à bousculer les personnages, les pousser dans leurs retranchements, au risque de bouleverser leur vie au passage, au nom de l'oeuvre théâtrale et du succès de la pièce à venir.
Ici se mêle donc réel et fantastique qui se matérialise dans ce personnage imaginaire.
Je ne veux pas trop dévoiler ce tome, où on retrouve des personnages des deux tomes précédents, ce avec grand plaisir (je préfère vous en laisser la surprise et ne pas vous spoiler).

Si les thèmes de diversité sont bien abordés (personnages lgbt), ainsi que la maladie, je n'ai qu'un seul bémol à apporter à ce début de cycle : la place des femmes les plus importantes de ces trois tomes.
Certes les personnages féminins apparaissent comme courageuses, vulnérables et fortes, indépendantes et libérées, pourtant deux d'entre elles (et non des moindres), la mère d'Olivier, mais surtout Katri, l'actrice vieillissante et sur le déclin de « Melusah », tiennent un rôle toxique dans leur relation avec les hommes des romans. Même Lili Rhum, dans le deuxième tome entretient une relation trouble avec son compagnon.
Leur caractérisation n'en est pas moins réussie et je comprends leur détresse dans le récit. Elles ne sont pas représentées négativement et n'en restent pas moins attachantes. Pourtant, et cela m'a plus perturbée avec Katri, elles freinent les personnages masculins dans leur épanouissement.
Katri a peur de vieillir et réagit en diva. Je le comprends, mais sa réaction excessive envers les deux hommes, qui l'ont ignorée, et qui entretiennent une relation, m'a semblé moins cohérente : surtout dans son entêtement et la culpabilité impactée sur la relation des deux hommes.
(J'aime beaucoup le personnage de Lili Rhum et j'espère la retrouver ultérieurement dans le cycle.)

Pour ce qui concerne l'écriture, la plume de Francis Berthelot est immersive. Elle m'a scotchée dès le début du livre et j'ai découvert un style riche, foisonnant, très plaisant. L'auteur s'impose en conteur, il nous livre une histoire, certes, mais remplie de vie, de secrets, de fantasmagories. Il nous emporte au fil des pages et je l'ai suivi avec une certaine fascination. Les récits sont vivants, les villages et les villageois décrits avec un précision et une cohérence qui apportent un aspect concret et crédible à la narration, ainsi prête à accueillir la note surnaturelle tant attendue. Celle ci apparaît avec un dosage équilibré, sans excès.

En conclusion, vous l'aurez compris, j'ai adoré ma lecture de cette première intégrale du cycle « Le rêve du démiurge". Et je me suis posé une seule et unique question au fil des pages : pourquoi ne l'ai-je pas lu avant ?!!!
C'est une pépite sombre, au récit parfois violent, mais sensible et pertinent, intense et troublant, où les personnages se retrouvent confrontés à leur part de ténèbres.
A découvrir absolument. Évidemment, je compte bien découvrir la suite du cycle et d'autres ouvraiges de l'auteur...
Je remercie Babelio et les éditions Dystopia pour leur confiance et Francis Berthelot pour cette excellente lecture.

Lien : https://karinemalka.blogspot..
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