- Pourquoi ton sweat est trop grand ?
- Pourquoi ta jambe est cassée ?
- Moto, répondit-il, submergé par une nouvelle envie de rire.
- Adolescence.
- Tu sais tu devrais pas faire ça.
Il haussa un sourcil surpris.
- Pourquoi ?
- Parce que fumer tue.
- Vivre tue, répliqua-t-il d'un ton désinvolte teinté d'amertume.
Trois heures, quatre joints, un passage en ville et plusieurs bouteilles plus tard, un poids lourd détruisait sa moto et le laissait inconscient sur le bitume de l'autoroute.
- On pourrait passer nos samedis soirs chez toi et regarder un film.
- Ecouter de la musique et discuter.
- Et tu pourrais m'apprendre à cuisiner.
- Tu pourrais me demander de te raconter des trucs positifs sur moi quand j'aurai pas le moral.
- Tu pourrais me chanter des chansons.
- On pourrait être amis.
Dès lors que vous exposez et publiez, votre œuvre ne vous appartient plus. Votre seul devoir est de faire en sorte que ce que vous montrez soit le plus proche possible de ce que vous avez vu, tel que vous l’avez vu, tel que vous voulez qu’on le voie. Mais sur ce dernier point vous n’aurez plus votre mot à dire une fois face au public.
- Tu sais, dit Thomas en s’efforçant d’ignorer son ventre qui se tordait douloureusement, tu aurais dû lui dire tout ça.
- Pourquoi faire ?
- C’est ça l’amour, mon vieux. Crier des conneries et courir après les bus.
- Et chanter des chansons.
- Et chanter des putains de chansons.
- Pourquoi ?
- Parce que. Et tu viendras pas plus près.
- Pourquoi ?
- Parce que je peux pas vraiment guérir comme ça. C’est comme si tu… Tu vois, t’annules les conséquences mais tu règles pas la cause. Et la cause c’est moi. Et c’est ma guerre, je dois la faire tout seul. Parce que si t’es là… Si t’es là alors ce sera toujours pour toi. Moi je serai toujours rien. J’irai mieux pour toi, j’écrirai des chansons pour toi, peut-être même que je deviendrai une super star pour toi. C’est ça mon problème. J’arrive pas à faire les choses tout seul, juste parce que je le veux, parce que ça me rend heureux. J’ai besoin de gens qui se reconnaissent dans ce que je fais. Et là j’ai besoin de savoir, tu comprends ? J’ai besoin de savoir si je peux faire quelque chose dans lequel je me reconnaisse.
— Sympa, tes pompes.
— Merci. T’écris quoi ?
— Mon numéro de téléphone, répondit-il en haussant les épaules.
Alice piqua un fou rire face à l’absurdité de cette réponse. Elle aurait pu le rentrer directement dans son portable… Et en même temps elle réalisait que c’était beaucoup plus fun comme ça. Vendredi soir, à Londres, des centaines, voire des milliers de personnes échangeaient leurs numéros de téléphone. Des noms et des numéros qu’on rentrait dans les portables, et dont la majorité seraient effacés dans la semaine, leurs propriétaires n’ayant plus la moindre idée de la raison pour laquelle ils les avaient échangés. Lui il l’écrivait sur sa chaussure.
J’arrêtais pas de me dire que j’étais pas assez bien pour toi mais tu sais quoi ? Je peux être assez bien pour toi. Je suis sûr que je peux. En tout cas je vais essayer, oh bordel je te jure que je vais essayer ! Mais je dois surtout pas me dire que tu vas m’attendre, que tu seras au bout du chemin sinon ce sera encore de la putain de dépendance. Alors faut qu’on se dise au revoir, petite Alice, et ensuite faut que tu sortes de ma vie, que tu t’en ailles loin vivre la tienne. Si j’ai de la chance, si j’ai une putain de veine de pendu, je te reverrai. Et si je te revois je te jure que je te courrai après comme aucun mec a jamais couru après une fille, OK ? ajouta-t-il, la férocité dans sa voix surpassant les sanglots qui la brisaient depuis quelques minutes.
- wow, souffla Alice
- wow
-wow