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Critique de HundredDreams


« Ce qu'il y a de scandaleux dans le scandale
c'est qu'on s'y habitue. »
Simone de Beauvoir

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Après avoir découvert Philippe Besson avec « Paris-Briançon », je n'ai pas hésité, malgré la dureté du thème, à accepter la lecture de son dernier roman : « Ceci n'est pas un fait divers ». Un grand merci à Babelio et aux éditions Julliard qui m'ont permis de découvrir et d'apprécier ce petit livre.

C'est avec beaucoup d'émotions que je le referme.

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« Ma mère avait succombé à une mort violente. On croit toujours que la mort de ses parents surviendra tardivement, calmement, et quand on aura eu le temps de s'y préparer. On redoute la maladie. On écarte l'hypothèse de l'accident… On n'envisage jamais le meurtre. Jamais l'exécution... Elle était une femme menue quand mon père était une force de la nature. Face à lui, elle n'avait pas la moindre chance de s'en sortir. »

Dans ce récit inspiré de faits réels, Philippe Besson aborde avec une grande sensibilité, un fait de société : les violences conjugales et le féminicide. N'attendez pas un dénouement heureux. Tout commence par la fin, la mort d'une femme sous les coups de son mari.

L'auteur a choisi de l'évoquer en adoptant le regard de l'entourage, car au-delà des victimes, ce sont aussi de nombreuses vies qui sont bouleversées et qui doivent continuer à vivre après de tels drames.

En choisissant comme narrateur le fils ainé de cette famille, on entre doucement dans le foyer et l'intimité du couple, en apparence sans histoire.
L'auteur, en alternant souvenirs d'enfance et présent, reconstitue ainsi, petit à petit, la dynamique de la violence conjugale jusqu'au meurtre, tout en s'intéressant également aux répercussions sur la famille proche.

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Certains coups de téléphone marquent une frontière entre l'avant et l'après, le bonheur et le deuil, la vie de famille et la solitude, la violence et l'incompréhension, la douceur d'une mère et l'absence.

« Papa vient de tuer maman. »

C'est avec ces mots que l'on entre dans ce récit.
Si une vie a été brisée ce jour-là par la peur et la rage d'un homme qui voulait à tout prix maintenir sa femme sous sa domination, elle a emporté également d'autres destins.
Comment se reconstruire, trouver un sens à son existence, sans se laisser ronger par la culpabilité, les remords et la souffrance ?

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Il est délicat de trouver les mots justes pour aborder un sujet de société qui revient malheureusement beaucoup trop souvent dans l'actualité.

L'auteur ne cherche pas les effets de style ou l'intensité dramatique.
Dès les toutes premières lignes, nous connaissons l'ampleur du drame qui frappe cette famille girondine. La force d'évocation se révèle par la sobriété du style, par un récit à la première personne du singulier, par des phrases et des chapitres courts qui confèrent à la narration un rythme soutenu et une atmosphère oppressante, douloureuse.

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Si chaque vie est unique, chaque histoire semble souvent se répéter :
la jalousie excessive, l'irritabilité, les violences physiques, l'emprise psychologiques de l'homme sur sa victime ; le silence, la solitude, la peur, la souffrance intérieure de la femme ; l'aveuglement, le déni, la culpabilité, le remords, le chagrin et la colère de l'entourage ; mais aussi la mauvaise prise en charge des plaintes pour violences conjugales et les failles de la justice.

Philippe Besson excelle à décrire les sentiments, les émotions. Il réussit avec beaucoup de subtilité et de pudeur à allier la complexité des liens familiaux et la profondeur psychologique des personnages pour évoquer cette violence sociale, les douleurs tues, les regrets et la culpabilité de ceux qui n'ont pas su voir à temps.
Tout cela m'a donné l'impression d'un immense gâchis, de vies gaspillées pour rien, me laissant un sentiment de tristesse pour ces femmes maltraitées qui souffrent dans le silence, pour tous ces enfants orphelins de mère, pour ces parents qui ne reverront jamais leur enfant.

« On ne pouvait pas imaginer l'imaginable… Rien n'est de ta faute. Rien du tout. »

Cette lecture est certes éprouvante mais salutaire pour nos consciences endormies. Les mots, sans pathos, sans apitoiement, sans voyeurisme, sans jugement, frappent comme un destin annoncé.

« Nous ne devions pas juger seulement un fait divers, mais un fait social. Nous ne devions pas parler d'une dispute conjugale qui aurait mal tourné, mais bien de l'aboutissement d'un continuum de violence et de terreur. Nous ne devions pas parler d'un meurtre, mais de la volonté d'un homme d'affirmer son pouvoir, d'asseoir sa domination. Et de l'aveuglement de la société. Et de la peur de nommer. »

Toutes ces morts innocentes, longtemps réduites à des crimes dits « passionnels », à des faits divers sont aujourd'hui des voix que l'on entend et écoute. Leur histoire compte pour qu'un jour, toutes les femmes soient respectées et ne soient plus les proies d'hommes possessifs et violents.
Pour qu'un jour, le féminicide ne soit plus considéré
comme un fait divers.

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Pour conclure, Philippe Besson signe ici un petit roman brillamment écrit, extrêmement poignant, véritablement glaçant.
L'auteur a su débuter ce récit par un incipit fort et maintenir tout du long une tension en disséquant habilement le cheminement insidieux qui a conduit à cet acte odieux. Car tous les signes précurseurs étaient là.

Ceci n'est pas un fait divers.
Ceci est un roman sur des vies qui volent en éclat.
Ceci est un roman sur l'innocence perdue, le deuil, le chagrin, le combat difficile pour réapprendre à vivre et à se reconstruire sur les vestiges du passé.
Et au milieu de toute cette souffrance, ceci est un roman sur la résilience et l'amour fraternel qui permet de survivre à l'inconcevable, l'intolérable.

Un roman nécessaire pour mettre toute la lumière sur ces drames intimes qui se répètent beaucoup trop souvent.
Un très beau roman que je vous conseille.
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