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Critique de mimipinson


« Je comprenais maintenant que la vie nous remplissait de provisions pour nos traversées du désert. »

J'ai abordé ce livre avec devant les yeux deux images, l'une d'Ingrid Betancourt que le piéton nancéen ne pouvait ne pas voir tant son visage était omniprésent à l'hôtel de ville, l'autre d'une femme recouvrant la liberté et se signant à même le sol. Les deux images ne m'ont pas quittée tout au long des 700 pages. Je sais encore précisément où et avec qui j'étais, et qui me l'annoncé lorsqu'elle fut, enfin libérée. En rentrant chez moi, vite, pour voir, je me suis dit tout au long du trajet, et moi, qu'aurais-je fait, aurais-je supporté 6 ans et demi de captivité, moi pour qui le mot liberté est le plus beau mot qui puisse exister ?
J'ai hésité à lire ce livre ; il est épais, écrit en petits caractères. Une lecture commune ayant pour cadre la Colombie m'a fait franchir le pas. Et je ne le regrette absolument pas. D'autant plus qu'Ingrid Betancourt est venue chez moi, parler de son expérience. Ce fut un crève coeur de ne pouvoir y assister, mais elle a eu la gentillesse d'un petit mot sur mon livre grâce aux bons soins de Madame Rossinot.

Ce récit est d'une rare dignité dans le style, que dans les réflexions qu'elle nous livre. Il est écrit dans un français admirable ; langue qui lui est venue spontanément lors de la rédaction de ces pages.
Ingrid Betancourt choisis de plonger directement son lecteur dans l'enfer de la jungle colombienne en racontant sa quatrième tentative d'évasion, il y en aura 5 au total, et les conséquences que cela aura sur la suite de sa détention. Je lirai ce livre comme un récit d'aventures sans pouvoir le laisser ; et bien que le dénouement fût connu, je me dirigeais vers cette fin haletante digne d'un polar au suspense intenable. Ce premier chapitre montre d'emblée la détermination de l'auteur à sortir coute que coûte de cet enfer.
Ce récit se compose de 82 chapitres, qui hormis les deux premiers sont à la fois chronologiques et thématiques. Les chapitres sont courts ; l'écriture y est élaborée, ciselée, et, d'une infinie pudeur. Malgré le désarroi, la captivité, le découragement, le texte maintient une grande retenue tout au long du livre. Est- ce que cela tient à la nature même du personnage, ou à la distance dans le temps par rapports aux faits ? Un peu des deux sans aucun doute.

De sa relation avec Clara, son assistante, avec laquelle elle fut enlevée, Ingrid Betancourt ne fait pas un grand étalage. Décrite comme quelqu'un d'assez peureux et soumis, elle assez peu présente dans ce récit. Les relations entre les deux femmes se sont détériorées, l'auteur ne s'en cache pas, mais reste courtoise et bienveillante.
La famille occupera une place proéminente. Son père, d'abord qu'elle aura la douleur de perdre en captivité, et dont elle apprendra le décès dans une feuille de journal laissée là par hasard pour mieux l'atteindre. C'est l'amour pour ses enfants et sa mère qui la teindront debout tout au long de ses 6 années de captivité grâce à la radio que les otages peuvent écouter, et qui pour eux sera la seule fenêtre ouverte sur le monde. Dans ses moments de désespoir : « je revenais donc à l'essentiel : j'étais mère avant tout. »

L'autre béquille sur laquelle Ingrid Betancourt se reposera est sans conteste sa foi inébranlable. Rares sont les livres qui lui seront permis, à part une Bible et un dictionnaire.

« Dans l'ennui qui était le mien, le lisais et je tissais. On m'avait donné une grosse Bible avec des cartes et des illustrations à la fin. Aurais-je pu découvrir les richesses de ce texte autrement que poussée par le désoeuvrement et la lassitude ? Je crains que non. »
C'est sans aucun doute cela , aussi qui lui permis plus vite de pardonner, et d'écarter toute idée de vengeance.

Des FARC, nous apprenons la violence, le cynisme, la cruauté.
« Nous, dans les FARC, on est écolo ! On ne tue pas, on exécute ! » »Pauvre femme, elle sortira quand elle aura les cheveux jusqu'aux talons. »
« Ces monstres ont accepté que je m'occupe de vous parce qu'ils ont besoin d'une preuve de survie » lui dit un infirmier militaire, captif comme elle.
Les insultes, les brimades, les humiliations, les privations sont monnaie courante. Elle passera de longs moments la chaine au cou attachée à un arbre.
« Ils se ruèrent vers moi, me tordant les bras pendant que des mains aveugles me tiraient par les cheveux en arrière et m'enroulaient la chaine métallique autour du cou »
« La chaine se fut lourde et brûlante à porter. Je me rappelais trop combien j'étais vulnérable. »

La vie quotidienne en captivité est un élément central dans ce récit. Une vie, qui en permanence au vu et su de tout le monde, en milieu hostile, au milieu d'une faune repoussante. Chacun est sous le regard de l'autre, l'intimité n'existe plus, l'humain est bafoué. L'adaptation est nécessaire. La vie ensemble engendre des difficultés relationnelles, des discordes. Les dissensions arrangent bien les geôliers. « Diviser pour mieux régner. »
La promiscuité rend les rapports humains belliqueux.

« Les femmes étaient des cibles faciles » Avec infiniment de tact et de pudeur, en quatre lignes dignes et magnifiques Ingrid Betancourt parlera d'un viol ; pas besoin d'en dire plus, tout est dit, le lecteur a compris, serre les dents, voudrait les jeter tous à la rivière. Elle est seule face à tout ça……
Les barbares vont jusqu'à attribuer des numéros à leurs otage, pour mieux les rabaisser ; Ingrid résiste, s'accroche.

« Si le mot dignité avait un sens, alors il est impossible que l'on accepte de se numéroter. »

Je pourrais continuer ainsi à détailler, avec exemple à l'appui l'enfer de la captivité. Mais ce serait injuste à l'égard de l'auteur, que ne pas parler de ses moments de bonheur .Chaque occasion a été pour elle une façon de déceler une parcelle de lumière, et de se créer, autant qu'il lui était possible de le faire des moments de joie : la voix de ses enfants, et de sa mère qui lui parvenaient, les gâteaux qu'on lui permettait de confectionner à l'occasion de l'anniversaire de ses enfants, les rares livres qui parvenaient dans les nombreux camps où elle et ses compagnons d'infortune ont séjourné, ces quelques jours de liberté retrouvée au moment de sa cinquième tentative d'évasion, ses amitiés fortes avec quelques uns de ses compagnons comme Lucho, Marc.

J'ai découvert tout au long de cette lecture une personnalité complexe, aussi éloignée de la Sainte qu'on a voulu en faire lors de sa détention que de la garce et égoïste que certains ont décrite. J'ai découverte une personne humaine, tout simplement ; consciente de ses forces et de ses faiblesses.
Parce qu'après tout, à sa place qu'aurais-je fait ? Comment me serais-je comportée ?

Ce livre est un coup de coeur pour la force, la dignité et l'humanité qu'il dégage.
Ce livre est un coup de coeur pour le témoignage qu'il représente.
Ce livre m'a remuée, interpellée.
Ce livre est à lire, tout simplement.
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