AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Nemorino


Curieusement, je dois cette lecture au tableau de Piet Mondrian reproduit sur la couverture de l'édition le Livre de Poche : « Paysage avec un nuage rouge », 1907 !
Bianciotti, écrivain d'origine argentine et membre de l'Académie française, compose cet autoportrait en 1992, soit vingt ans avant sa disparition en 2012. Quand on y pense, « la nostalgie de la culture » de son père, pauvre Piémontais en exile, l'a conduit particulièrement loin !
J'aime les autobiographies et celle-ci m'enveloppe doucement, m'inspire, même si les scènes qui se sont nichées dans la mémoire de Hector Bianciotti sont très différentes des miennes. Je ne viens pas du monde rude qu'il décrit, « où faire des enfants revenait à se pourvoir de main-d'oeuvre », et où la beauté « si toutefois on la percevait, ne représentait qu'un caprice au coeur de la nécessité de survivre, de pourvoir sans trêve à la subsistance ». C'est étrange que je lise l'épisode (cf. ma citation d'hier) de la danse de Hector bébé, devant un miroir, dans les bras de sa soeur aînée, à la date anniversaire de la mort de mon père. Parce que j'ai des photos où, moi aussi, je « valse » avec lui, alors qu'il me porte en l'air, âgée de quelques mois, en pyjama. Comme chez la majorité des adultes, ma propre mémoire ne remonte qu'à mes trois ou quatre ans, mais les histoires qu'on me contait sur cette période choyée de ma vie sont dans le panthéon de mes souvenirs ! Pardonnez-moi le fait que, dans ce billet encore, je savoure des coïncidences !
Les flashes de mémoire de l'écrivain nous marquent à notre tour : « Il y aura toujours un serpent jaune et noir qui se redresse, prêt à mordre, […] et ma mère qui le tue ». Il y a aussi ce souvenir du cadeau d'un bijou, suivant la coutume d'autrefois, qui tiendra les doigts de Bianciotti à jamais claustrophobes : « On m'emmène chez le médecin du village le plus proche, en plein nuit ; la bague n'était plus qu'un fil étranglant l'enflure de l'annulaire ; et moi, tout entier, que ce doigt, cette petite parcelle de mon corps ». Il parle avec émerveillement et gratitude de son éveil à la beauté : sa première écoute de « La Traviata »…
Ce livre est beau, que de métaphores neuves il file ! Mais quelle beauté exigeante envers le lecteur dont la concentration et l'effort de l'imagination sont sollicités continuellement ! L'auteur affronte les écueils du compliqué car son vocabulaire recherché, ses longues phrases et incises sont très loin du parler ordinaire, voire il court par moments le risque de nous laisser froids ou nous fatiguer par sa densité. Cependant je crois que Bianciotti est trop passionné de l'insolite pour craindre de paraître prétentieux ou élitiste. Ce feu d'artifice de plaisir littéraire est tout à fait naturel pour lui ! Pour ma part, je n'aime pas quand un texte est trop simple, il faut qu'il me résiste un peu, qu'il me tire vers le haut, pour motiver ma lecture.
Cette oeuvre nous donne envie de fouiller dans notre propre enfance. En nous provoquant ainsi, elle est bénéfique. Vladimir Nobokov me faisait cet effet, que ce soit par sa biographie « Autres rivages » ou par le roman de son premier amour « Machenka ».
Le soliloque de Bianciotti pose souvent des questions philosophiques, comme celle-ci : « Et ma mère, l'avais-je aimée ? Poussés par la vie, nous n'avons de cesse que d'échapper à nos parents, de sorte que le coeur — à leur mort on s'en aperçoit, — aura toujours été en retard. » On n'oublie pas ses interrogations poignantes comme celle-là : « Peut-on faire quelque chose pour soi qui ne fasse, dans l'immédiat, du mal à quelqu'un ? » Parfois il se demande s'il n'a pas commis un abus d'imagination dans ses envolées poétiques ! Et là, Bianciotti entrevoit cette vérité extraordinaire : notre présent alimente, cultive, notre mémoire plus que celle-ci ne le façonne. Des sensations se sont imprimées en nous que nous n'avons pas forcément saisies au moment de l'expérience. Leur résurrection à travers l'écrit les transforme en aimants de toutes sortes d'impressions postérieures qui s'y agglomèrent comme les algues et les bigorneaux au rocher.
A lire, à relire et à méditer !
Commenter  J’apprécie          637



Ont apprécié cette critique (63)voir plus




{* *}