Citations sur Et puis mourir (23)
Au vrai, le policier était d'un naturel taiseux et la solitude ne lui pesait pas. Du moment qu'on le laissait en paix, il n'était pas du genre à causer des problèmes. Pour autant, quiconque se serait mis en tête de lui chercher querelle -quelle que fût la raison choisie- aurait vite compris que la réserve affichée par le bonhomme n'était pas une marque de lâcheté ou de timidité.
Quand Lemaître eut enfin rendu son dernier soupir, le tueur se pencha une dernière fois au-dessus de sa dépouille pour enfoncer le sexe tranché dans sa gorge. Il essuya la lame de son cutter sur le torse du défunt, avant de l’utiliser pour lui prendre une mèche de cheveux qu’il glissa dans une petite enveloppe préparée à cet effet.
La victime a été torturée, ajouta Mautalent en constatant l’importance des émissions sanguines autour de la dépouille. On en saura davantage après autopsie, mais je pense qu’elle était encore en vie quand on lui a fait subir les sévices.
Cédant à une impulsion, Le Guen emboîta le pas à son collègue, avant de refermer la porte derrière lui. Mesnard en fut surpris, mais ne fit pas de remarque. Le Breton se plaça dans un angle de la pièce. Il croisa les bras et posa son regard bleu délavé sur le prévenu. À l’évidence, ce dernier était à deux doigts de craquer.
— C’est un truand habitué des GAV1 ton gars ?
— Non, pas vraiment, admit Mesnard. Comme je te l’ai dit : c’est un pauvre type, qui a déconné. Tu veux en venir où ?
— Au fait que s’il s’accroche à ce point, c’est qu’il a une bonne raison de tenir.
Il était le chasseur, lancé sur les traces de fauves en liberté. Il traquerait sans relâche les prédateurs et les empêcherait de nuire à tout jamais. Il se muerait une fois encore en tueur implacable. Il savait la Bête présente en lui.
Avec Le Guen, on ne plaisantait ni avec la littérature, ni avec le rock. Dernier vestige témoin de la vie d'avant la police : une guitare électrique trônait sur son pied, au milieu de la pièce. Une vieille Stratocaster Fender, qui n'avait jamais quitté le Breton depuis qu'il l'avait achetée, à peine sorti de l'adolescence.
Le tueur en série, c'est la tarte à la crème des écrivains et des scénaristes de cinéma en mal d'originalité. Si on en croisait moitié moins que ce qu'ils inventent, la terreur régnerait en France. On ne ferait pas un pas dans la rue sans en côtoyer un.
La réponse était toujours la même : une touche subtile de fermeté, que l’on alternait avec quelques promesses d’accéder aux demandes des salariés… et une bonne louche de langue de bois. Ensuite, il suffisait de maintenir l’équilibre du mélange et de prendre son temps. La foule était ainsi faite qu’elle finissait toujours par se lasser. C’était dans sa nature. Les élites étaient constituées d’individus animés par une volonté de fer, qui ne lâchaient jamais leurs proies avant d’avoir obtenu ce qu’ils convoitaient. Les autres, tous les autres, ceux qui ne possédaient ni l’envie, ni les moyens d’obtenir le fruit de leurs désirs, étaient nés pour servir. Il n’y avait rien de bien sorcier, rien à comprendre : il fallait l’accepter, un point c’est tout.
Depuis la terrasse de ce domaine, Régine Sauvage avait vue sur le jardin des Tuileries et le musée d’Orsay. Un panorama rare, qu’ils étaient nombreux à lui envier. Le point de vue si particulier offrait un merveilleux spectacle, éblouissant en toutes saisons. De là où elle se trouvait, elle pouvait jouir deux fois par jour de ce saisissant tableau : l’espace d’un instant, les toits de Paris s’embrasaient. Que le soleil se lève ou qu’il se couche, la lumière rasante allumait des myriades d’étoiles, elle répandait d’innombrables copeaux dorés au sommet des bâtisses. C’était comme une coulée de larmes incandescentes, une vague de feu liquide qui s’étalait sur la capitale. La Seine elle-même se parait de joyaux à cet instant. Les crêtes des vaguelettes plissant sa surface accrochaient des scintillements éblouissants.