Mais il arrive parfois, quand il trace un kanji, de ne plus se sentir exister que comme souffle vital, comme pur élan du corps devenu simple conducteur de l’énergie universelle. Dans ces instants de grâce, il s’oublie et se fond dans le creuset du monde. Sa vie alors n’est plus sa vie, elle participe de cette énergie démesurée et il expérimente à l’avance, ébloui comme un enfant qui mâchouille un bout de pâte crue avant que sa mère n’enfourne le gâteau, la saveur inachevée mais grisante, de son éternité
Mais, avant le soir de sa chute, elle ne prit jamais conscience de la haine qu’une créature comme elle pouvait générer dans l’un ou l’autre clan.
La limpidité presque angélique de ses intentions la sauvait toujours de désastre. La sincérité de son regard, la spontanéité de ses élans la protégeaient du mal. Parvenus au bord du gouffre, ses agresseurs potentiels renonçaient à l’y pousser, parce qu’elle était vraie, parce qu’elle était pure, et sans doute aussi parce qu’ils n’étaient pas totalement pervertis, parce qu’ils étaient encore capables de pressentir en elle cette vérité, cette pureté, capables encore d rougir d’eux-mêmes.”
Des montagnes sublimées par cette lumière mouvante, qui joue à se faufiler entre le bleu du ciel et de gros nuages gris perle, roulant très haut; Des montagnes qui se jettent dans le lagon, comme toutes celles de l’île, n’offrant aux habitants qu’une mince bande de terre habitable de part et d’autre de la route de ceinture
Ces tatouages-là sont faits pour être exhibés, visibles de tous, ils grimpent à l’assaut des membres, enlacent les torses, soulignent l’arc des reins, ciblent les épaules ou les crânes.
D’autres, au contraire, s’enveloppent de mystère, posés délicatement sur la rondeur d’une fesse, effleurant le creux d’une aisselle ou le renflement d’un pubis, encerclant l’aréole d’un sein. Ces tatouages-là sont d’abord des offrandes amoureuses, de tendres surprises à l’amant qui, pour la premières fois, les dévoile sur le corps désiré. Ils deviennent ensuite des secrets d’alcôve, des sujets de plaisanteries privées, de discrets petits sceaux garant d’intimité.
Et le tatoueur à longueur de journée écoute, conseille, caresse, palpe, gratte, pince, et puis transperce et brûle et imbibe d’encre indélébile les épidermes de ses frères humains.
Dépositaire de tous les secrets du monde.
A la fois artiste graphique et écrivain public. Ecrivain à fleur de peau.”
Le soleil… on lui avait promis le soleil, cet amant implacable qu’elle poursuit et qui se dérobe à elle depuis tant d’années.”
Enclos dans ces routines gigognes, le temps de Colette tourne en rond comme un hamster dans sa roue.”
“ Les ancêtres de Poerava étaient arrivés là guidés par les étoiles, sur d’immenses pirogues doubles, pontées, capables d’affronter les rages d’un océan que seule l’inexpérience d’autres hommes, un jour, permettrait de baptiser Pacifique.”
Tatie Venucia était une grande femme tout en rondeurs, avec un visage sans grâce qu'ensoleillait parfois encore un fragment de sourire, rescapé d'une jeunesse aussi éloignée qu'une vie antérieure." (p.144) " Il [Tonton Philibert] étayait, sur de maigres pattes agiles, un petit ventre rond cultivé à la Hinano [la bière locale] (p.145)
Vitres et voilages exaltent ce double jeu de l'énigme et de la transparence, proclament tout à la fois que les propriétaires n'ont rien à cacher, puisqu'ils s'exhibent, mais que ce rien même est si enviable et précieux qu'il convient de l'envelopper du plus discret des flous artistiques. (p.89)
il flottait depuis l’enfance, nuage fluide et hésitant, au-dessus des frontières en apparence si limpides qui séparent la dextérité de la maladresse, l’épiderme laiteux du cuir tannée, le masculin du féminin.”