AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Bruno_Cm


Pour commencer, je remercie les éditions des Equateurs ainsi que Babelio pour ce livre reçu dans le cadre de l'opération Masse Critique.

Ce livre est assez déroutant. A titres et à sens multiples.
Il l'est dans son statut : on parle de roman, mais c'est une autobiographie à peu près explicite, qui frise le récit. Difficile de savoir quels aspects et propos sont fictionnés. Mais de ça en fait on s'en fout. C'est le sujet actuel et quasi permanent en littérature, et qui, au fond, n'est ni un problème en soi ni une question à résoudre : c'est comme ça. C'est ok.

Déroutant quant au style : Justine Bo sait écrire, il y a pas mal de bonnes formules, de bonnes métaphores (même si certaines sont déjà connues et pour lesquelles on frôle parfois le carton jaune du cliché. Dommage parce qu'on sent que l'auteure voue sa vie à connaître, à creuser et chercher et donc - on imagine - qu'on peut sortir des clichés. (Je crois que parfois c'est tout bonnement impossible.))

Déroutant, puisque le livre se déroule dans plusieurs lieux, plusieurs "territoires". Qui, en principe, sont situés géographiquement de façon précise (longitude, latitude données; ainsi que d'autres détails colorant l'atmosphère du moment et du temps). On passe de l'un à l'autre parfois un rien brutalement aussi, parce qu'il y a quelques inclusions-flashes back, mais grosso modo ça va, on peut retrouver l'adhérence facilement.
Petite ville de province, en Normandie, marquée par la seconde guerre mondiale, Paris et ses castes, la Syrie et son horreur progressive jusqu'au désastre, des allusions à Hiroshima, au Maghreb et ses révolutions printanières, New-York et son cynisme, la déception, les Etats-Unis et tout son chapelet de vies pathétiques mise à nu sous l'oeil d'un média racoleur et faussement humaniste, Paris encore pour un retour dans l'actuel de l'auteure-cinéaste etc et son travail salutaire, pour elle et pour d'autres, espérons-le.

Déroutant parce que beaucoup de thèmes, sans doute trop. Un monde compliqué, complexe, profondément injuste, dégoûtant, violent, violant, malsain, pathétique, voyeuriste, où les larves cotoyent les requins, ou sont exclues des milieux montants...
Il y a de la douleur, physique, de la torture même, mais aussi de la douleur mentale, psychologique, de la torture même... du sociétal et de l'intime.

C'est aussi le journal d'une femme, dans un monde qui reste patriarcal, machiste, et qui observe, qui subit, qui agit, qui marche, qui trébuche, qui avance...

Déroutant sur la forme, ou les formes. L'auteure place des inclusions de chansons, de rêveries, de "fausses" scènes et de dialogues de personnages parfois étranges, de vraies citations.

Et oh, oui, crucial : l'importance des mots, du sens des mots, de l'étymologie. A de multiples reprises, l'auteur part, repart de l'étymologie de mots tant radotés aujourd'hui qu'on n'en saisit plus le sens. Et l'auteure fait son travail d'archéologue des mots et c'est l'occasion ensuite de reposer des idées, relancer un débat...
Un exemple : "Je reconnais ces visages dans la démarche des badauds : ce poids lent, mou, qui me rappelle mes propres gestes chaque fois que je dus me fondre dans le moule de l'employé. Employé : lorsqu'on nous emploie, on n'agit plus, on est un participe passé. On nous emploie. On nous utilise. On nous utilise. On dit j'ai employé ce type dans tel bureau comme in dirait j'ai employé le couteau pour éplucher les patates. L'homme employé est interchangeable, idéalement anémié du cerveau et résigné à l'idée que sa situation 'évoluera pas."

Les mots et le langage, à la fois indispensable et tellement vain.
Les territoires, les terres, les lieux eux sont premiers, les seuls qui restent, et en même temps, eux aussi, sont imaginaires, pas si réels que ça, flous, floués...
L'homme n'est que de passage. Se prolonger a-t-il lui aussi du sens ?

Etant un psychologue travaillant dans les assuétudes, tout le passage sur son frère toxicomane et alcoolique, la perdition totale, progressive, les épisodes familiaux dramatiques y touchant, l'écart que sa soeur a dû mettre entre eux, pour se protéger... Tout ça m'a beaucoup parlé et touché. Témoignage honnête, sincère.
Connaissant moins bien les autres thématiques, je ne peux pas les "juger" de la même façon, mais j'imagine que ceux qui les connaissent bien auront le sentiment qu'elles sont également traitées de façon honnête, sincère, authentique, vraie, que sais-je... En cela, on peut estimer que Justine Bo a réussi son ouvrage. de façon générale, elle écrit avec un regard, un oeil, une voix, des idées et tente de nous les transmettre, on peut ou pas s'y sentir proche et apprécier.

Personnellement, j'ai plutôt apprécié ce livre, qui à la fois ne sert strictement à rien, et qui sera très probablement noyé dans la masse des livres de l'année, livre qui traite de trop de choses pour être identifié, et en même temps, ce côté "couteau suisse" est plaisant, on ne s'ennuie pas. Et on apprend. On n'a jamais fini d'apprendre de ce monstre humain. de grâce.



Commenter  J’apprécie          80



Ont apprécié cette critique (5)voir plus




{* *}