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Critique de isanne


"Vous savez, des fois, je me demande si je suis normal. La réponse est non. Mais la réponse ne m'inquiète pas. Ce qui compte, c'est la puissance de la joie qui éclate à la vitre de nos yeux. Une apparition, une seule, et tout est sauvé."


Quinze éphémères récits, quinze moments funambules, quinze éclats scintillants de souvenir, quinze partages du temps, quinze traversées de vie, quinze instants précieux, quinze voiles de tristesse, quinze paroles prononcées, quinze silences écoutés, quinze fulgurances, quinze battements de cils, quinze pas dans l'âme de Christian Bobin comme autant de moments consentis entre l'écrivain et celui qui le lit.

De petits textes aux mots choisis, ciselés, taillés comme l'était la pierre romane pour prendre vie et sens, pour évoquer autant de tressaillements de l'écrivain que ce soit devant un tableau contemplé, apprendre à voir l'invisible...
"J'entends grésiller la mèche de la bougie de la Madeleine à la veilleuse, dans le tableau de Georges de la Tour. Je vois le vide qu'il y a entre les hommes, plus grand que celui qui sépare une étoile d'une autre étoile. Chacun travaille, travaille, travaille à son sombre intérêt et ceux qui n'y travaillent pas sont broyés."

Des phrases entrecroisées pour dire l'émotion en "habitant", pour un instant, les accords virevoltants d'un Glenn Gould et la mélodie lancinante d'un Bach, en écoutant le murmure de cette femme porteuse d'une autre culture, qui tutoie les étoiles, précieuse parce que vraie et qui s'apprête à donner la vie...
"Les gitans, les chats errants et les roses trémières savent quelque chose sur l'éternel que nous ne savons plus."

Des lignes pour dire le souvenir du père, pour dire le regard voilé de nos sociétés sur ce qui dérange ou à l'inverse, ce qui captive, ce regard faussé en toute chose...
" On les appelle "malades d'Alzheimer". En se multipliant, ils nous font le don d'une vie réduite à sa base, harassante, exténuante, délivrée de tous les ordres de la vie moderne : acheter, envier, triompher."

Des mots en guirlandes pour évoquer le regards d'animaux croisés, la conversation des fleurs, leurs messages venus de l'invisible, le lien ténu d'un échange avec le silence éternel...
" Il y a dans la nature les fragments d'un alphabet ancien, des morceaux de lettres capitales, des ruisselets d'italiques, de grands espacements bleus de silence. Et parfois, par on ne sait quelle grâce, plusieurs lettres s'assemblent, des mots apparaissent avec ce qu'il faut entre eux de silence respirant - une phrase est tracée."

Il y a dans les phrases de Christian Bobin, l'empreinte d'un ange au regard démultiplié : observant l'objet et son ombre, les pénétrant l'un et l'autre de même manière pour en goûter la richesse infinie qui échappe aux yeux de l'impatient. Il y a dans ses mots la trace de "ce regard d'or" qui transperce les choses jusqu'à en deviner la signification intrinsèque.
Il y a chez l'écrivain une écoute du silence qui révèle tant.

Merci, Monsieur Bobin, d'ouvrir nos yeux et nos sens pour toucher le primordial, nous éloigner du bassement réel...
"Dans les lointains une télévision accomplit sa morne besogne comme un bourreau tranchant sans émotion les têtes divines du silence et du songe. Un train de publicités déchire l'air, une pluie de miracles tristes s'abat sur le monde, dont les prophètes sont des créatures jeunes, lisses, au sourire millimétré. Nous devons être très malheureux pour engendrer de tels rêves compensatoires."

Et merci encore à vous, Monsieur Bobin, de rendre regard aux yeux éteints de ces chiens de chasse, à ces porteurs de carillons tristes, ces colliers sans musique, ils ne sont guère éloignés du malheur de la biche ou du sanglier qu'ils pourchassent... Merci de donner à contempler le regard du chat qui s'éteint et flamboie en un moment confondu...
"(...) il s'agit de chasseurs rappelant leurs chiens égarés. Je connais ces chiens. L'un d'eux s'est un dimanche aventuré devant ma maison. Poil ras, gueule éteinte, déprimé comme un diable captif d'un bas relief roman, il faisait tinter à son cou un collier de grelots semblables à des larmes pétrifiées. Je lui avais donné un morceau de brioche. Ce don l'avait accablé, tant il semblait accoutumé - comme au seul paradis connu de lui - aux mauvais traitements de son maître. Les yeux blanchis de toute espérance, il n'était qu'une machine à tuer digne de compassion."



Une lecture pour écouter, regarder intensément et apprécier la vie pour ce qu'elle sait nous offrir et que nous ne savons recevoir...
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