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Critique de Nat_85


Je remercie Babelio ainsi que les éditions Belfond pour l'envoi de ce roman.
Ce roman révèle un scandale d'Etat, des vies dérobées par une politique du déracinement. » L'île aux enfants « d'Ariane Bois, paru en ce printemps 2019 aux éditions Belfond, nous conte cette trahison.
Île de la Réunion. 3 Novembre 1963.
Pauline et Clémence rentrent de la rivière du Mât, les bras chargés de cette eau précieuse. Leur père est dans les champs occupé à couper la canne à sucre. Leur mère est hospitalisée depuis deux semaines. Alors se sont elles, ces deux jeunes soeurs inséparables qui ont la responsabilité de ramener l'eau à la case.
Mais lorsque la 2CV camionnette rouge, dite loto rouz, s'approche d'elles, il est déjà trop tard. Elles sont enlevées et jetées dans un avion avec des dizaines d'autres enfants, direction la métropole. Clémence la cadette ne réalise pas qu'elles sont à des milliers de kilomètres de chez elles. Pauline, quant à elle, est abasourdie mais ne lâche pas la main de sa soeur, de peur de la perdre.
p. 60 : » Elle ne croit plus ces adultes évasifs, menteurs, qui la trimbalent d'un endroit à l'autre, comme un vulgaire paquet. Elle est l'animal effrayé dont on change la cage, celle qu'on pousse dans une voiture, l'enfant si loin des siens. «
Elles arrivent à Guéret dans cette Creuse profondément rurale, et voient défiler des couples qui repartent avec des enfants. Pauline réalise soudain qu'elles vont être séparées. C'est dans un déchirement physique que Pauline voit sa soeur partir. Quant à elle, est est accueillie par M. et Mme Granger. Elle découvrira l'indifférence et la maltraitance. Rien n'est fait pour faciliter leur intégration. Dépaysement traumatique.
p. 35 : » Pauline ne comprend pas tous les mots qui sortent de leur bouche. On dirait une autre langue, une langue qui se plaît à l'exclure, à la couper davantage de ces gens-là. «
Même à l'école, les regards et les moqueries anéantiront ses derniers soupçons d'insouciance infantile…
p. 55 : » L'hiver règne aussi dans son coeur, le chagrin est un vertige, un compagnon de tous les jours. «
Après un incident dramatique, les services sociaux la confieront à un autre couple M. et Mme Gervais. Pauline tombe gravement malade, échappe à la mort, mais y laisse une partie de sa mémoire. Celle de ses souvenirs sur l'île.
p. 66 : » Qui est-elle ? Elle a laissé son identité près de la rivière, sur la route bordée de flamboyants. Elle a oublié les siens, sa langue, son pays, l'ordre du monde d'avant. «
Alors, entourée et aimée par ses nouveaux parents, elle leur fait confiance en acceptant d'être adoptée et en changeant de prénom. Pauline Rivière est désormais Isabelle Gervais.
Par un malencontreux hasard, Isabelle va découvrir les papiers de son adoption, cachés dans un tiroir de la chambre de ses parents. de là, une colère inextinguible monte, envers et contre tous. Tous ceux qui lui ont menti toutes ces années durant, lui cachant volontairement sa véritable identité. Comment cette adolescente surmontera-t-elle cette révélation ? Des années plus tard, elle prendra conscience que ce drame s'est joué à une échelle bien plus importante encore.
p. 98 : » Flash d'informations : » Entre 1963 et 1982, plus de mille six cents enfants ont été arrachés à leur île, La Réunion, à leurs familles, à leurs racines. Ces mineurs, dont certains n'étaient que des bébés, furent transférés dans notre région, la Creuse. Devenus adultes, certains s'interrogent aujourd'hui sur ce qui a pu motiver un tel exil forcé. «
C'est donc sur cette tragédie que l'auteure, Ariane Bois construit son oeuvre. Si la petite histoire reste une fiction romanesque, la grande est la triste responsabilité de l'Etat français dans ce drame humanitaire. Une tâche de plus sur l'ardoise de la honte et des mensonges. Un traumatisme moral irréparable.
p. 146 : » – Michel Debré (alors Premier ministre du Général de Gaulle) voulait moderniser l'île, éduquer les enfants. Il s'est appuyé sur un dispositif existant, le Bumidom, qui organisait l'émigration volontaire d'adultes de l'île. Il imagine aussi envoyer des petits Réunionnais dans des départements ruraux, en voie de désertification comme le Gard, la Lozère, le Gers, la Creuse. le but ? Désengorger l'île, vider les bidonvilles et au passage repeupler les campagnes françaises, y injecter su sang neuf. Un coup double, asséné sur l'échine des plus faibles. «
D'une qualité d'écriture admirable, ce roman ne tombe pas dans le piège du pathos. En plaçant sa narration du point de vu de l'enfant, Ariane Bois place le curseur sur l'innocence même, et la sincérité. Divisé en deux parties, le roman exploite ingénieusement la transmission générationnelle de ce drame, dans une quête perpétuelle de l'identité. C'est un sujet bouleversant, dont le silence si longtemps de mise, n'a fait qu'accroître le sentiment de caution.
Lien : https://missbook85.wordpress..
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