AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Plumeetencre




Je poursuis mon tour du monde littéraire avec une escale cette fois-ci en Irlande - terre natale du poète, dramaturge et écrivain Dermot Bolger, qui signe ici un roman intimiste absolument bouleversant. Que d'émotions à sa lecture! 

Toutefois pour l'apprécier, il vous faudra composer avec sa narration méandreuse, éclatée, non linéaire et quelque peu disgressive mais au final parfaitement maîtrisée. Il faudra également accepter de se perdre dans le dédale des souvenirs composant une vie en passe de se reconstruire et que certaines interrogations parfois, ne trouvent pas réponse.

*

Quartiers nord de Dublin, décembre 1991. 

Victime d'un terrible accident de voiture, Sean Blake est déclaré cliniquement mort durant quelques secondes avant que son coeur ne se remette à battre. Un laps de temps au cours duquel il se souvient avoir assisté avec détachement à toute la scène, vue d'en haut. À son réveil, fortement éprouvé par l'expérience qu'il vient de vivre, le jeune homme - marié et père de deux enfants, ne se sent plus le même. C'est un miraculé certes mais devenu étranger au monde qui l'entoure et aux siens.

"Comment pouvais-je expliquer que j'étais revenu à la vie différent de celui que j'avais été, désormais incapable de me focaliser sur la petite république d'amour que nous avions soigneusement construite?" 

Alors qu'il essaie de réinvestir le quotidien, notre protagoniste semble de plus en plus perdre pied. Ses nuits peuplées de rêves énigmatiques laissent place le jour à des réminiscences qui s'imposent à lui et le ramènent aux zones d'ombres de son passé.  

"Comment lui dire que je lui mens depuis des années, qu'elle (sa femme) ne sait pas réellement qui je suis car je ne le sais pas réellement moi-même?"

Enfant adopté à l'âge de six semaines, il ignore (presque) tout des premiers chapitres de son histoire. Frôler la mort a réveillé ce vide identitaire, aujourd'hui béant, et Sean Blake réalise que pour renaître à la vie, à cette seconde vie,  il doit percer le mystère de ses origines en partant sur les traces de sa mère biologique. Quarante ans plus tôt, celle-ci lui a donné naissance dans l'un des sinistres couvents de la Madeleine.

"Étais-je né d'un viol ou de l'inceste? Avait-elle vu les yeux d'un homme qu'elle haïssait chaque fois qu'elle plongeait son regard dans le mien? Ou avait-elle secrètement célébré mon anniversaire chaque année, enfermée à clé, seule dans une salle de bains, mangeant furtivement un morceau de gâteau tandis que sa famille s'agitait autour d'elle, sans rien connaître de ses larmes et de son secret?"

*

De rencontres en aveux troublants,  cette quête existentielle nous confrontera au puritanisme ravageur d'une société vouant un culte à la "respectabilité" ainsi qu'aux exactions de l'église catholique trop longtemps passées sous silence. Rien qu'à l'écrire,  j'en frémis encore.

"Dieu était souvent évoqué, mais pas à propos de l'amour qu'il fallait ressentir pour son prochain ni de l'éternelle damnation : la vie tournait uniquement autour de ce que tes voisins pensaient de toi, de secrets à garder, du scandale à éviter, il ne fallait donner à personne l'occasion de te mépriser (...)."

Mêlant pudeur et sensibilité désarmantes, l'auteur s'empare avec justesse d'une thématique explorée au cinéma à travers le film intitulé The Magdalene Sisters ou encore plus récemment Philomena. Au cours du siècle dernier, plusieurs milliers de filles-mères  irlandaises aux moeurs jugées dissolues, se sont vues internées de force au sein d'institutions religieuses et réduites en esclavage comme blanchisseuse pour expier leurs fautes - certaines toute leur vie durant. L'enfant à venir, marqué lui aussi du sceau de la honte, leur était arraché puis offert à l'adoption. 

Un pardon est-il possible? Sans prendre parti, l'auteur multiplie les points de vue: celui des proches, des religieuses, d'un prêtre mais aussi celui de la mère contrainte à abandonner sa chaire. Des pages d'une beauté tragique lui sont consacrées. Ses mots cognent encore dans mon coeur et ma tête. Un cri déchirant…


Un livre terriblement marquant!

Commenter  J’apprécie          7714



Ont apprécié cette critique (72)voir plus




{* *}