Toute fin d'année 1991, Dublin.
Sean se sent libéré des soucis de son quotidien, il se regarde sereinement dans l'ambulance qui emmène son corps et n'en éprouve aucune peine. Il remarque les infinis détails de cette scène qui fait suite à son accident, des ballons de fête à une fenêtre, le crâne dégarni d'un gardien du Jardin botanique. S'éloignant de ce lieu, il se sent happé par une lumière, une chaleur réconfortante, des visages bienveillants si longtemps perdus. Seul un visage inamical détonne parmi eux, un jeune homme dont la physionomie échappe à ses souvenirs. Et puis c'est la dégringolade vers son corps qui reprend vie, le coeur reprenant soudainement ses battements.
Dans les rêves qui suivent, des évènements de sa vie se bousculent et l'envie de connaître sa mère biologique surgit, comme un appel.
A Coventry, Elisabeth, se réveille en sursaut, persuadée d'avoir entendu le bruit d'un accident. Sa raison la quitte peu à peu, ses trois filles s'inquiètent de ses errances en pleine nuit car c'est dehors qu'elle sait qu'elle le rencontrera, dans une rue, une nuit, comme dans les rêves qui viennent la prévenir depuis une dizaine d'années. le trou béant laissé par son premier-né abandonné sous la contrainte, son petit garçon aux yeux bleus, crie l'urgence d'être enfin comblé par cette rencontre tant désirée. Pour elle, le temps n'est pas toujours un allié pour guérir les peines.
Pourquoi Sean, photographe, ne veut-il être que d'un côté de l'objectif d'un appareil photo ? Est-ce dû au fait d'avoir été un enfant adopté ? Cette adoption, révélée le jour de ses onze ans, a-t-elle été ressentie inconsciemment comme un vol d'identité ?
Depuis son accident, il peine à reprendre sa vie, cette vie qu'il ne ressent plus sienne, tant au niveau familial que professionnel. Désormais, pour continuer à mener sa propre existence, il a besoin de connaître les réponses aux interrogations qui le perdent aujourd'hui alors qu'il a trente-cinq ans, est marié et a deux enfants. Cette recherche pour définir son identité le mène vers cette jeune fille qui avait dix-neuf ans, une Irlandaise parmi tant d'autres, envoyée par sa famille dans un couvent pour y cacher sa honte et surtout pour murer son péché et éviter qu'il ne salisse la respectabilité de la famille. Dans cette Irlande des années cinquante, catholique et puritaine, les religieuses recueillaient ces futures mères tout en les considérant comme de vulgaires traînées. En les forçant à faire adopter leurs enfants, elles se targuaient d'offrir à ces derniers la chance de vivre dans une famille de bons catholiques, dans un foyer décent. Les mères pécheresses aussi pouvaient alors avoir
une seconde vie.
Les secondes vies se dédoublent dans ce roman terriblement déchirant.
Les paroles des religieuses, celles de Mrs Lacey de l'agence catholique de protection, les monstrueuses attitudes de la famille sont autant de coups de poignard qui lacèrent la sensibilité d'une mère.
Dermot Bolger écrit admirablement la souffrance, le déchirement, l'écho incessant de l'ignorance d'Elisabeth en ce qui concerne le devenir de son enfant.
Du côté de l'enfant, devenu père, c'est l'ignorance des raisons de l'abandon qui le tenaille et la peur du rejet, de l'oubli. La négation de son existence.
Interrogeant régulièrement le passé qui vient morceler le difficile présent de Sean, cette lecture qui tourne autour de l'identité et de l'adoption insère des sensations troublantes, peut-être liées à une vie antérieure. Sean est obnubilé par ce visage inamical entrevu lors de son expérience de mort clinique et un lieu, le Jardin botanique de Dublin, exerce de déroutantes réminiscences.
Cette quête creuse chez les parents adoptifs et ceux biologiques. Quelle est leur place, quelles sont leurs motivations, leurs douleurs, leurs culpabilités ? Sous quel jour peuvent naître des liens de filiation ?
Que de vies gâchées, sacrifiés, au nom de Dieu, du qu'en dira-t-on, du scandale à éviter malgré la cruauté des décisions. Et pourtant, l'auteur ne condamne rien, ni personne, accompagnant intelligemment le lecteur vers les différentes facettes de cette période, montrant les points condamnables ou défendables, ou tout simplement excusables.
L'Irlande, comme tant d'autres pays, a évolué. Cependant toutes les portes ne se sont pas ouvertes pour faciliter la recherche d'une mère, d'une fille, d'un fils.
Un roman riche et complexe, à la plume captivante, qui m'a happée dès le début dans son bouleversant tumulte identitaire.