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Critique de afriqueah



Pour moi, il n'y a pas de hasard, seulement des rendez-vous. Mon amie @Libellule 41 a écrit une chronique sur « le Manuscrit de Port-Ebène, » de Dominique Bona, avec des citations si bien choisies, qu'il m'est inutile de les re-citer.
Or ce livre m'attendait.
Livre qui, dit-elle, présente trois points de vue : le manuscrit d'une femme du XVIII siècle, l'éditeur notre contemporain qui reçoit ce manuscrit et l'ile de Saint-Domingue, colonie française jusqu'en 1804.

1- le récit de cette jeune fille ingénue qui arrive en 1784, mariée par procuration avec Julien( un planteur de coton, venu de la métropole, ouvert aux idées de tolérance et de dialogue de la philosophie des lumières) décrit la chaleur qui assomme, les odeurs des épices, la beauté des montagnes violettes, essaie de décrypter le monde des colons, dont certains féodaux « qui cultivent avec arrogance aux tropiques un style et des traditions de la plus vieille France » , celui des esclaves, eux qui travaillent, et dont les mélopées se font entendre la nuit, enfin celui des mulâtres , dont certains ont pris la charge d'un domaine hérité, souvent partagés entre leur ascendance blanche et noire, en ce cas mélange entre un noble blanc et une esclave noire.
Au départ passive, inadaptée, inactive, avec l'indolence de la jeunesse elle veut vivre ; puis les tropiques lui insufflent une vitalité qui la stupéfie et la précipite dans des amours similaires à la fertilité incroyable de l'ile.

2- L'éditeur Jean Camus lit en même temps que nous ce manuscrit / testament écrit deux siècles plus tôt. Il est séduit par les confidences, pense à rectifier certains termes : mulâtres, ça ne se dit plus. Nègre, non plus.
Il a visité Haïti, le nouveau nom de Saint-Domingue, en a rapporté des peintures naïves, peut donc se faire une idée de l'ile, de son foisonnement, et aussi de sa pauvreté.
Séduit par le manuscrit dont il s'apprête à donner une version light, soudain il s'interroge car il rêve, il sent le texte se propager en lui comme un poison, une « volonté maligne ». L'ile possédée par les forces obscures de l'animisme africain, lui semble une menace de malheur. Une malédiction.
Il baptisera le manuscrit de « Port-Ebène ».

3- L'ile, où le commerce du sucre a rassemblé les seigneurs français, venus tenter l'aventure, et les esclaves africains, dont certains ont fui dans les montagnes pour échapper au mauvais sort, se peuple peu à peu de « mulâtres », ainsi que de « libres, », dont les droits sous ces tropiques lointains ne sont pas reconnus. Ils font l'objet d'une commune vindicte, vus par les Noirs et les Blancs comme des transfuges, des parvenus.
Le Code Noir de Louis XIV avait rendu obligatoire le baptême et le catéchisme des esclaves, mais comme rien n'était fait, les anciennes croyances , la magie noire, les envoutements, les sacrifices sanglants, les danses rituelles et sans doute licencieuses, rythmées par le tam-tam , en un mot le vaudou perduraient-elles.
Dans les champs de coton de ces iles baptisées françaises, et qui ont fait, par le commerce du sucre , la richesse des « marquis » blancs puis la ruine de Haïti, se joue une partition de la Révolution française, avec Toussaint Louverture dont le rôle est rappelé avec bémols. Héros, certes, martyr de Napoléon, oui, mais trafiquant d'esclaves et pas toujours le libérateur que l'on croit.
Avec une écriture poétique, une incursion dans le passé qui nous rappelle l'histoire de cette population hétéroclite, une connaissance parfaite des lieux et coutumes de l'ile, l'analyse fine de plusieurs protagonistes, campés dans leur vérité et leurs contradictions, une vision historique, aussi, le Manuscrit de Port-Ebène est un grand, un immense livre.
Ce livre prend une valeur encore plus grave, car il est impossible de ne pas rappeler l'impôt en millions/or imposé par Charles X en 1825 à l'ile désertée par les colons, laquelle a payé chèrement son indépendance.
(Selon moi, il ne s'agit pas de repentance, ni de dette morale : il s'agirait de rembourser des sommes extorquées par la France à un pays appauvri définitivement, et touché de plus par les cataclysmes de la nature.)
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