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Critique de Luxi


Un violon sur la couverture et l'immense Yehudi Menuhin dans le titre : ce roman était fait pour moi, il m'a littéralement appelée. Alors je remercie profondément les éditions Belfond et NetGalley pour ce beau roman que j'ai lu d'une traite.
Nous suivons donc le violoniste Rodolphe Meyer dans la douloureuse épreuve du deuil : après son père, sa mère et son frère, c'est sa grand-mère qu'il enterre aujourd'hui. Il se rend alors dans la dernière demeure d'Emilie qui lui appartient désormais, et y restera bien plus de temps qu'il ne l'avait prévu. Peu à peu, au fil de ses mots, on découvre des fragments de sa vie. La vie d'un homme qui n'a pas eu le temps d'être un enfant parce qu'il fallait s'entraîner encore et toujours. La vie d'un petit génie jeté dans le milieu impitoyable de l'Excellence. Alors oui il est doué, du moins il a été très doué, mais au moment de faire le bilan de sa vie, quelle grisaille il nous livre… Regrets, colère, rancune, rien en lui n'est tranquille et apaisé. Ça bouillonne en silence. Ça s'agite jusqu'à la douleur.
Ce qui m'a vraiment frappée dans ce roman, c'est l'extrême solitude de Meyer. Une solitude terrible, poisseuse, qui agrippe le lecteur et l'asphyxie. On sent une détresse muette, une errance infinie. On est englué dans cette solitude, on la ressent, on la respire, on l'entend même, puisque son violon – son seul véritable compagnon – lui chante douleur et nostalgie des temps qui ne reviendront plus. Mais bientôt apparaît Victor, « l'Enfant sauvage », personnage énigmatique et obscur, qui vient fêler sa solitude et le plonger dans de profondes angoisses qui le révèleront à lui-même…
Malgré cette solitude, Rodolphe Meyer n'est pas parvenu à m'émouvoir tout à fait. Trop d'arrogance, trop d'orgueil parfois, trop d'amertume vaine. Sa déroute m'a touchée, ses regrets m'ont touchée, mais l'homme en lui-même ne m'a pas émue. C'est sans doute à mes yeux le seul défaut du livre. Car l'écriture est ravissante, mêlant métaphores lyriques et phrases plus rugueuses. Les souvenirs de Meyer s'emmêlent au récit et nous font voyager dans des recoins inédits, éclairant certaines parts sombres de l'homme et en pardonnant d'autres. J'ai trouvé cette plume très sonore et mélodieuse – mais peut-être mon amour pour le violon a-t-il joué ici – et au fil des pages j'entendais les partitas de Bach s'agiter dans ma tête, j'entendais le concerto de Mendelssohn, j'entendais la fougue de Beethoven.
Ce roman est un bonheur pour les mélomanes. On évoque Paganini, Sibelius ou le célèbre Karajan, on touche un Stradivarius pour la première fois, on croise le chef d'orchestre roumain Celibidache et surtout, surtout, on parle Menuhin. le Maître. le chef inégalé. Et l'ombre de ce virtuose pèse sur tout le roman comme il pèse sur la silhouette fatiguée de Meyer. « le son de ce génie, son beau visage, fier et noble, empreint de gravité… L'Ave Maria est facile, mais le jouer comme Menuhin est impossible. » Xavier-Marie Bonnot évoque ce poids du génie de l'autre qui nous demeure inaccessible. Les efforts acharnés pour tenter d'effleurer un fragment de ce génie mais peine perdue, le dieu est trop haut et il a volé la perfection pour se l'attribuer.
Mais si Menuhin appuie beaucoup sur l'existence de Meyer, ce n'est pourtant pas un roman sur le violoniste génial. C'est plus que ça : c'est un grave et rude questionnement sur la mort, son aberration, sa cruauté. Une réflexion sur ce qu'on laisse, ce qu'on aurait dû, ce qu'on aurait pu, aussi. Un dernier regard un peu nostalgique sur toutes ces décennies passées, parfois dorées, parfois plus ombreuses. C'est surtout à mes yeux un roman sur ce lien très étroit qui enlace le génie à la folie. Et ce beau et douloureux questionnement est embrassé par la grâce du Lord Wilton, un Guarneri del Gesù, « le dernier violon de Menuhin », qui sonne comme s'il pleurait, qui pleure comme s'il priait.
C'est surprenant, c'est poétique, c'est tout simplement beau : « je disais tous les mots inexprimables en un long coup d'archet, si long qu'il semblait monter au ciel. Il faut en avoir, des paroles tues, des bribes volées, des accents brisés, pour les mettre sur le fil de votre coeur. Nous, les virtuoses, sommes tous des névrosés, des orphelins de l'enfance. » Et même s'il m'a manqué une vibration, une brillance qui aurait rendu ce livre peut-être plus fort et plus prenant, j'en garde de belles émotions en refermant la dernière page et je suivrai cet auteur que je ne connaissais pas. Sur ce, je m'en vais prendre mon violon.
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